-“Oui."
- “Vraiment sûr ?"
- “Mais puisque je te le dis !”
Charlotte couchée sur ses genoux ronronnait fort. Elle enfonçait ses petites griffes à travers le jean de son propriétaire, indifférente à une quelconque douleur qu’elle pouvait provoquer. C’était un privilège de chat après tout. Et puis son humain devait apprécier, il lui gratouillait le sommet de la tête ! Pile entre les deux oreilles comme elle aimait.
- “Dariel ? Oh Dariel tu réponds !”
- “Pardon. Je réfléchis.”
- “Y’a pas à réfléchir ! Fonce !”
- “Les locaux commerciaux c’est pas mon truc.”
- “Mais l’appartement ! Et puis c’est pas n’importe quel local. Sûr qu’il doit valoir cher.”
Peut-être. Mais les locaux commerciaux ça n’était définitivement pas son truc. Dariel s’enfonça un peu plus contre le coussin de sa banquette. Cette nouvelle venait bouleverser tous ses plans pour la journée. Il avait prévu de retoucher les photos pour la mise en vente d’un superbe appartement. L’idée d’aller crapahuter dans une ancienne boutique ne l’enchantait pas plus que ça. Franchement, entre de vieilles étagères poussiéreuses, et un bassin intérieur avec cascade et poissons paresseux, le choix était fait : les poissons, sans hésitation. Dariel fit la moue, pas convaincu, et ça s’entendait à l’intonation de sa voix.
- “Je sais pas … J’ai d’autres impératifs pour la journée. Et puis les Jonhson doivent me contacter aujourd’hui pour la mise en vente de leur villa. C’est le dernier jour et ..”
- “Oh c’est bon tu reste toujours scotché à ton portable ! Tu peux bien bouger tes fesses et aller jeter un oeil non ? Ca te coûte quoi ?”
Le déplacement pardi ! Mais ceci dit, avec un local commercial, Dariel avait peu de risque d’être confronté à une manifestation bizarre dont il avait l’habitude. Sauf si l’endroit avait été squatté. Il finit par soupirer, plus encore en entendant son interlocuteur exprimer sa joie d’un “yes” très impoli.
- “Ok Oliver je marche. Dis m’en plus.”
- “T’as entendu parler de Frederick Byracka ?”
Et là, Dariel se redressa si brusquement qu’il fit tomber Charlotte sur le sol. La chatte miaula, outrée, avant de s’éloigner la queue haute. Elle irait faire ses griffes quelque part pour se venger.
- “Le pâtissier ? Évidemment ! J’ai jamais pu goûter ses … Attends. Le local, c’est le sien ?”
- “Ouaip.”
Alors là ça changeait tout. Entre ses fans et la localisation du bien, ça pouvait effectivement valoir un beau chèque.
- “Et il le vend ? T’es sûr de toi ?”
- “C’est la rumeur qui circule en ce moment dans le milieu. Et il paraît que Tu-Sais-Qui a des vues sur le bien en question.”
Tu-Sais-Qui, non justement il ne savait pas. Son rival, l’inconnu, l’homme mystère (ou la femme). L’ignoble individu qui s’évertuait à entacher sa réputation. Ni lui, ni Oliver, n’avaient découvert l’identité de ce sournois personnage. Mais si le margoulin chassait sur ses terres, Dariel se devait de réagir !
- “Hors de question que ce fils de chacal l’obtienne ! Tu t’occupe de la rencontre avec monsieur Byr …”
- “Ouais, alors, en fait …,” ça ne laissait jamais rien présager de bon quand Oliver commençait une phrase comme ça. “La rumeur veut qu’il vive pas vraiment en ville. On dit qu’il s’est exilé et qu’il vivrait dans la Stone Belt.”
Non. Non !
- “Tu te fous de ma …”
C’est l’histoire d’un agent immobilier parti chercher un ex pâtissier dans le désert. Vraiment, ça ressemblait au début d’une très, très, TRÈS, mauvaise blague. Beauf et raciste en plus.
Il aurait dû se douter de l’embrouille. Déjà, cette vente soudaine et inattendue le jour où les Jonhson devaient l’appeler. Ensuite, Tu-Sais-Qui ! Et rien que ça c’était le pire. Et puis il fallait aller dans le pire endroit du monde pour trouver quelqu’un qu’il n’avait jamais vu et n’était pas certain de dénicher. En plus le taxi avait refusé de le conduire jusqu’au Village. Il l’avait largué là avec un petit “suivez la route c’est pas loin”. Bin voyons ! Dariel avait marché une heure, sous un soleil harassant, et avec sa pauvre petite bouteille d’eau quasi vide. Au final il avait croisé le chemin d’un gamin à qui il avait lâché cinquante dollars en échange de son vélo, une fortune que le gosse avait accepté sans sourciller. Et pour couronner le tout, plus de réseau sur son portable !
Et le voilà, à pédaler en ce chaud début d’après-midi, en pestant contre Oliver et ses plans pourris. Dire qu’il aurait pu être chez lui, à boire un thé en retouchant des photos. Mais non !
- “Je te déteste Oliver” pestait-il à chaque coup de pédale.
Quand enfin apparurent les premières maisons Dariel se sentit à la fois soulagé et désolé. Clairement ça ne ressemblait pas du tout à ce dont il avait l’habitude. Mais tant pis. Il était venu jusqu’ici, il ne repartirait pas bredouille !
Il s’arrêta devant la première maison, un petit nuage de poussière dans son sillage, un peu essoufflé aussi. Une vieille femme le dévisagea de haut en bas. Oui, d’accord, s’il avait su il aurait passé une autre tenue. Quelque chose de plus sportif et passe partout, parce que là le combo jean, chemise, sacoche, vélo rouillé détonnait un chouille. Dariel en appela à son sourire le plus courtois. Avec un peu de chance ça suffirait à ce que son interlocutrice ne s’attarde pas trop sur son front en sueur.
- “Excusez-moi madame, je cherche un certain Frederick Byracka. Vous savez où il vit ?”
- “Hum,oh oui vous pouvez pas le louper. Alors vous continuez tout droit pis vous prenez à gauche et après vous roulez trois maisons et encore à gauche. La maison de Prity hein, pas celle de Suzanne. Après c’est deux cents mètres et à droite, et tout droit. Et vous arrivez au p’tit marché avec le toit vert, bin là vous continuez encore un peu et vous prenez à gauche. A gauche hein ! Pas à droite c’est là où y’a l’autre avec ses chiens. Et puis ce sera sur votre droite.”
Simple, précis, qui ne s’y retrouverait pas ?
- “D’a-d’accord. Merci.”
- “Pas de quoi !”
Bon. Eh bien en route ! De toute façon ça ne pouvait pas être si grand que ça ici, hein ? Il finirait bien par le trouver. Avant la nuit. Pas que l’endroit ne lui inspirait pas confiance, mais Dariel n’avait jamais entendu beaucoup de bien de ces lieux. Qu’est-ce qui pouvait bien lui arriver de pire que tout ce qu’il cumulait déjà depuis ce matin ?
Un “pshhhhh”. Et un caillou. Et la roue avant se détacha du reste de son vélo de fortune pour aller finir sa course plus loin. Dariel en avait perdu l'équilibre. Allongé là dans la poussière, le visage vers le ciel bleu, c’était peut-être le bon moment pour faire un point sur sa vie.