Sous ses protections solaire, elle avait les yeux marrons et un air amusé. Son sérieux restait une évidence, mais elle semblait avoir décidé de lever le pied, même si c’était juste pour lui donner l’illusion que tout allait bien se passer.
Elle s’appelait Delta. Pour une agent aux ordres de l’entité qu’on surnommait l’Alpha et l’Oméga de BlissTown, Frederick supposait que c’était très à propos. Il se demanda brièvement si elle comptait d’autres lettres de l’alphabet grec parmi ses collègues, mais fut vite distrait par sa réponse. Elle s’appelait Delta, et elle affectionnait les daifuku à la fraise.
Sans vouloir faire de lui un cliché vivant, le pâtissier était intimement convaincu qu’on pouvait apprendre beaucoup sur les autres en s’intéressant leurs plats préférés. Dis-moi ce que tu manges, et je te dirais qui tu es, ou quelque-chose de similaire.
Elle lui demanda s’il connaissait la spécialité, et il secoua la tête. Il s’était assez vite spécialisé dans une offre d’influence européenne, mais était toujours curieux de découvrir ce qui pouvait se faire aux quatre coins du globe.
- J’ai bien peur que non. Je devine que c’est une pâtisserie à base de fraise…?
Il avait reconnu le terme ichigo pour avoir déjà cherché à savoir s’il était possible d’importer à BlissTown des fraises de la variété Amaou, qu’il avait découvert au détour d’une vidéo sur le tourisme culinaire.
- Et appelez-moi Frederick, si vous voulez bien. Ajouta-t-il, Monsieur Byracka, c’est trop… J’ai l’impression que je vais avoir des problèmes.
Il considéra un moment la question de la jeune femme. Il avait une réponse toute faite pour elle ; celle qu’il servait comme un vieux plat réchauffé à chaque fois qu’on lui demandait ce qui avait motivé le pâtissier à se lancer dans cette branche. Le dessert préféré de monsieur Byracka, patron des Délices du Bliss, c’était bien sûr les cookies de feu sa maman adorée. Cookies qu’il n’avait jamais réussi à reproduire à l’identique, et pour lesquels il s’était lancé dans ce domaine… Cookies dont il n’avait jamais vu la couleur, non plus. Pas plus qu’il n’avait eu de figure maternelle aimante dans sa vie.
Son amour pour les cookies inexistants de sa mère imaginaire, c’était une histoire qui attirait l’attention et qui faisait vendre, rien de plus. Mais ici, au beau milieu de Stone Belt, il était juste Frederick.
- Le Mendiant. Répondit-il sincèrement.
Il sourit, la langue déliée par un sujet de conversation qui l’intéressait réellement.
- En gros, c’est un dessert confectionné avec les restes. A l’origine, on se servait de pain rassis comme base de la confection, mais personnellement, j’utilise mes restes de la semaine pour en préparer. Expliqua-t-il, C’est une sorte de pudding très épais, constitué de pâtes diverses, avec des fruits et une pointe d’alcool.
Le principe du Mendiant, c’était de ne rien jeter. Ainsi, chaque confection avait un goût différent, bien distinct, en fonction des préparations de la semaine et de ce que Frederick avait réussi à vendre ou non. On était loin des desserts élaborés, mais ça importait peu au pâtissier.
- C’est très facile à préparer, et ça vous cale l’estomac comme peu de choses ! Et puis, ça permet d’offrir une seconde vie à ce qu’on aurait laissé dépérir.
Il s’enthousiasmait de l’ingéniosité du concept tout seul dans son coin et ne reporta son attention sur la jeune femme qu’après avoir fini, à peu de choses près, de lui réciter la recette du gâteau. A l’horizon, ils pouvaient commencer à distinguer les silhouettes des figuiers de Barbarie se profiler au sommet d’une remontée. Frederick les indiqua à Delta.
- C’est de là que j’ai aperçu votre machine. Elle était à quelques mètres d’une bouche d’égout. Indiqua-t-il en essayant de ne pas tiquer à ses propres mots -décidément, il ne s’y fera jamais, à ces anomalies topographiques-, Vous devriez pouvoir la repérer facilement d’ici.
Il essaya de prendre un air encourageant.
- Si ça se trouve, votre collègue n’est pas loin non plus.