Elle n’avait pas souffert longtemps, mais elle avait souffert. L’information était difficile à accepter même si, au fond de lui, il en avait déjà été conscient. Une mort paisible n’aurait certainement pas entrainée la médium à partir à sa rencontre, le laissant à jamais dans l’ignorance. Était-il monstrueux de songer que, dans un sens, c’était sans doute un mal pour un bien ? Sans cela, il n’aurait certainement jamais—
Frederick serra les dents et renonça à prendre un autre shot de liqueur, de peur de voir sa main trembler en attrapant son verre.
Un frisson remonta le long de son échine lorsque la demoiselle lui indiqua que sa cliente spectrale se trouvait en leur compagnie. Littéralement en leur compagnie, il faut croire, vu qu’elle désigna les escaliers d’un geste, comme si la défunte s’y trouvait.
Lorsqu’elle avait dit s’adresser aux défunts, Frederick avait imaginer un lien plus… mystique. Une communication à travers des messages sibyllins, que seule l’initiée qu’elle était pouvait décrypter. Mais il ne s’agissait pas d’un don inné de la jeune femme, d’une sensibilité quelconque à l’au-delà dont il avait pu voir certains se vanter : c’était son altération.
Elle n’était pas plus en phase avec les énergies que lui. Elle n’était pas extralucide, elle voyait juste les morts comme il la voyait, elle. Le pâtissier grimaça intérieurement.
Hésitant, il jeta un coup d’œil à l’endroit indiqué par la jeune femme. Il pouvait vaguement imaginer Sarah, les bras croisés, reposant contre le mur avec un air indescriptible sur le visage. Partiellement parce que le rapide coup d’œil qu’il avait jeté à sa photo n’avait pas suffit à ce qu’il se souvienne des traits de son visage, mais aussi parce qu’il n’avait pas la moindre idée de l’expression qu’elle pourrait bien porter à cet instant. Que répondre à un homme qui n’avait même pas conscience de vous avoir fait du mal ? Et que pouvait-il, de son côté, lui dire qui ait une quelconque importance aux yeux de la défunte ?
Il se demanda vaguement si ce qu’on disait était vrai, et s’il sentirait sa présence en la forme d’un froid glaçant s’il venait à se rapprocher de l’escalier. Il déglutit. Il était bien, là où il se trouvait.
Frederick se tourna vers la demoiselle assise près de lui et ouvrit la bouche avant de se raviser. Résolument, il se retourna vers l’escalier. Il se sentait un peu idiot, à s’adresser au vide, mais si elle disait vrai et que Sarah se trouvait réellement là, il était hors de question qu’il l’ignore. L’expérience était étrange, ressemblant d’avantage à une confession qu’à une conversation.
Ne pas pouvoir voir le visage de son interlocutrice était déroutant, peut-être même plus que la notion de l’existence d’un au-delà. Il s’éclaircit la gorge, se demandant ce qu’il était sensé dire, dans une telle situation. Il avait apprit à reconnaître ses tords et à présenter ses excuses sans sourciller et avec sincérité : l’exercice n’avait rien ne nouveau pour le chef pâtissier. Le problème ne venait pas de l’exercice en soit, mais de la nature de son crime.
-
Je suis sincèrement désolé, Sarah. Prononcer son nom à voix haute rendait tout ça un peu plus réel,
J’aimerais pouvoir faire quelque-chose… Si j’avais su, j’aimais je n’aurais…Il détourna le regard un court instant. Ce qui est fait est fait, et ses regrets ne changeront pas la donne. L’heure n’était pas aux suppositions, après tout.
-
Savoir que tu as souffert par ma faute, alors que tout ce que j’ai toujours voulu, c’est apporter du réconfort aux autres… Je ne me le pardonnerai jamais.Comme bien des choses dans la vie, il apprendra à vivre avec. Le pâtissier n’était pas un grand amateur du pardon, qui lui avait toujours semblé trop simple. Il pouvait s’avérer très rancunier, mais seulement parce qu’il tenait les actions d’autrui en même estime que les siennes. Il n’avait jamais comprit comment nullifier une mauvaise conduite était sensé la corriger. La meilleure façon d’expier ses fautes était de ne jamais vraiment les oublier.
-
Tant que je serais un danger pour les habitants, je resterai ici, loin de l’influence du Bliss. Et si je dois me rendre en ville, je jure de faire attention. Hésitant, il jeta un coup d’œil à la jeune femme assise à ses côtés avant de reporter son attention sur l’escalier,
Ton amie ici présente sait qui je suis et connait… comment je fonctionne… Si elle devait être visitée par une autre victime de mon incompétence, j’espère qu’elle se rapprochera directement de Juniper avec tout les éléments à sa disposition.Il n’osa pas se retourner vers la demoiselle à qui il venait essentiellement de confier la mission de se porter garant en son nom auprès de la défunte. A la place, il adressa une question à cette dernière.
-
Est-ce qu’il… y a quelque-chose que je puisse faire pour toi ? Pour t’aider à…?C’était sans doute un peu bête, de lui demander ça, mais il ne pu s’en empêcher. Il avait vaguement cru comprendre que les esprits s’attardaient parmi les vivants pour leur transmettre des messages, ou pour chercher vengeance, ou parce qu’ils refusaient de partir sans régler l’une ou l’autre affaire importante de leur vivant. Il avait pu dire tout ce qu’il avait à dire à Sarah. À elle maintenant d’avoir la parole.
Il hasarda un coup d’œil à la jeune femme qui rendait tout cela possible, attendant de connaître les paroles de la disparue.
- H.R.P:
N’hésite pas à demander quelque-chose de la part de Sarah à Frederick. Une dernière volonté, une promesse quelconque à tenir même si c’est un truc totalement random comme adopter son hamster qui a fini à la SPA parce que son père est allergique. Il s’efforcera de s’y tenir pour les temps à venir o/