Le sourire aux lèvres et les poches alourdies de quelques pièces couvrant à peine le coup de fabrication du précieux cargo qu’il venait de livrer, Frederick se sentait le cœur léger. Il y avait quelque-chose d’incroyablement gratifiant à voir les yeux d’une personne s’illuminer à la vue de leur dessert préféré, même si ce dessert n’était qu’un simple banana bread qui lui avait prit, à tout casser, une petite demi-heure à préparer. Doucement, mais surement, il retrouvait un peu de sa normalité en réussissant à se faire une petite place parmi les exilés, une fournée de petits biscuits sablés après l'autre.
La vieille dame qui lui avait passé commande avait été positivement charmante, et il aurait facilement pu l’imaginer, elle aussi, derrière les fourneaux, à préparer de délicieux gâteaux pour ses petits-enfants. Ou ses arrières petits-enfants, vu son âge.
...Bon, elle avait la fâcheuse manie de braquer son arme sur à peu près tout le monde (lui comprit), et Frederick avait entendu dire qu’elle avait des comptes à régler avec Juniper, alors peut-être bien qu’il lui inventait une vie. Ça l’occupait, voyez-vous. La sienne étant devenue un enfer, autant fabuler sur celle des autres pour éviter de penser à la sienne.
Cette pensée le fit grincer des dents et il enfoui son nez dans son imposant foulard en lin, plissant les yeux derrière ses lunettes opaques comme pour mieux focaliser sa vision sur l’étendue d’amas rocheux qu’il essayait d’appeler sa maison. A l’Est, du sable et des cailloux. A l’Ouest, des cailloux et du sable. A l’horizon, encore plus de sable. Il grogna et passa une main sous ses lunettes pour se frotter le visage.
Ses yeux clairs le faisaient souffrir malgré la paire de lunettes perchée sur son nez. Foutu altération. C’était vraiment nécessaire de lui assigner une nouvelle couleur d’yeux ? Vraiment ?
Il enfonça ses mains dans ses poches et soupira intérieurement. Il en était déjà réduit à passer sa vie sous l’air chaud du désert qui rendait ses cheveux et sa peau secs, il n’allait pas en plus baisser la tête en marchant. Le soleil pouvait aller se faire cuire un œuf (possiblement en quelques secondes à peine, vu la chaleur environnante). Il redoubla d’efforts pour rentrer chez lui le plus vite possible. Sa stature, additionnée à la résolution dans ses pas et au regard positivement meurtrier qu’il semblait lancer (il avait mal aux yeux, mince !) lui donnait tout l’air d’un criminel à trois contrariétés près de commettre un homicide.
Arrivé devant sa roulotte, stationnée à l’ombre d’une formation rocheuses et entourée des quelques-unes des caravanes de ses homologues nouvellement arrivés, il tourna sa clé dans la serrure. Ou plutôt, correction : il
essaya de tourner sa clé dans la serrure. Suspicieux, il abaissa la poignée. La porte s’entrouvrir légèrement.
Super. C’était reparti pour un tour.
Frederick souffla longuement : au moins cette fois, la serrure n’était pas cassée. Ça commençait un peu à devenir lassant, de la faire réparer toutes les deux semaines parce qu’un petit malin de passage se disait que la meilleure chose à faire pour passer son temps, c’était de dépouiller l’honnête commerçant du coin.
Heureusement pour Frederick, l’un des bricolos du village l’avait à la bonne et lui proposait toujours un prix d’ami, moyennant un petit avantage en nature en la forme d’une tartelette au citron meringuée pour chacune de ses interventions. Sauf qu’à ce rythme, le pauvre homme allait faire une overdose d’agrumes.
Ou Frederick allait finir à court de citrons.
Se préparant mentalement à retrouver son pauvre chez-lui sens dessus-dessous, il carra les épaules et poussa la porte d’un pas décidé. C’était comme avaler un médicament amère : plus vite c’était fait, mieux c’était pour tout le monde. Il marqua un temps de pause sur le pas de la porte. A première vue, pas la moindre chose avait été dérobée. Tout était en ordre. Ce qui, plutôt que de le rassurer, fit monter son anxiété d’un cran. Il était sûr et certain d’avoir fermé la porte en partant.
Inspirant profondément, il retira ses lunettes pour observer plus en détail l’espace autour de lui. (Eh oui, il avait beau avoir des yeux de chat, il n’avait pas hérité de la nyctalopie qui allait avec.)
La roulotte était séparée en deux espaces bien distincts : le rez-de-chaussée, et l’annexe à l’étage dans laquelle se trouvait la pièce à vivre. Et par
pièce à vivre, il voulait dire que c’était là que se situait une salle de bain rudimentaire et le canapé sur lequel il dormait, accolé à un petit meuble de bureau sur lequel il avait prit l’habitude de faire ses comptes et de lister les enseignes qu’il affectionnait le plus, les ingrédients qu’il y avaient repéré, et leurs prix. Ses effets personnels quand à eux, avaient été fichus en vrac dans plusieurs cartons qui se dressaient dans un coin de la pièce et qu’il n’avait pas encore fini de trier.
Si l’étage pouvait faire de la peine à voir, ce n'était pas le cas pour l’autre partie de la roulotte, celle qui prenait le plus de place. Une cuisine professionnelle avait été aménagé avec brio dans l’espace restreint de sa nouvelle maison. On y trouvait absolument tout pour rendre un adepte des confections sucrées heureux : des ingrédients soigneusement rangés dans des petites boites où étaient indiqué leurs dates de péremption, une collection d’ustensiles tous plus onéreux les uns que les autres, et une batterie d’appareils électroménagers qui ferait pâlir de jalousie n’importe quel aficionado des fourneaux.
Pas d’illustre inconnu pour l’accueillir… ce qui voulait dire que son invité surprise avait pris la poudre d'escampette... ou qu'il se trouvait à l’étage. Sérieusement, est-ce que les gens pouvaient un jour arrêter de penser qu’il cachait des trésors à l’étage alors que toute sa vie se trouvait en cuisine ?
Frederick attrapa son fidèle rouleau à pâtisserie, un modèle de compétition fait entièrement en marbre et qui donnait des sueurs froides à plus d’un aspirant pâtissier à cause de son poids. Sa prise sur la pierre serrée entre ses doigts le rassurait un peu, et il se dirigea jusqu’aux escaliers, s’arrêtant au pied de ces derniers. Il compta jusqu’à dix. Bien. Il était temps de se montrer confiant. Ou du moins… d’en avoir l’air. Il s’éclaircit la gorge, figea une moue irritée sur son visage, et leva la voix.
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Si vous cherchez ce qu’il y a de plus onéreux ici, je vous conseille les fèves To’ak, importées de l’Équateur. Énonça-t-il tout haut d’une voix lasse, celle qu’il empruntait à l’époque pour parler aux clients qui pensaient faire la pluie et le beau temps dans son établissement,
C’est quand même dingue, ça. Vous vous entêtez à cambrioler une pâtisserie mais vous cherchez toujours à repartir avec le tiroir caisse alors que certains ingrédients ici vous rapporteraient beaucoup plus sur le marché. Enfin, je dis ça… Ça m’embêterait quand même pas mal de m’en défaire, donc je préférerais que vous repartiez sans faire d’histoires. Merci.Mouais.
Ça aurait peut-être été plus convainquant s’il n’avait pas ajouté un remerciement en fin de phrase. Et s’il n’avait pas trébuché sur l’un ou l’autre mot.
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[Hors RP : Le sommeil m'échappe, du coup voici une petite réponse plus tôt que prévue. ![Death by sugar 1f4ab](https://2img.net/i/fa/twemoji/16x16/1f4ab.png)