Débuter

Jouer sur Blisstown

BlissTown, mutation carcérale bâtarde de Las Vegas, microcosme en plein coeur du Désert du Nevada. Construite à l’image des ambitions des plus grands entrepreneurs du monde, la ville et ses alentours sont le résultat de tout l’isolement que l’argent peut acheter. Ici, même le climat est maîtrisé par un miracle surnaturel appelé Bliss dont seule Ceres semble percevoir les contours. Être un BlissTownie, c’est un statut unique au monde. Un art de vivre pour certains, une malédiction pour beaucoup. Une culture de l’éphémère, un attachement toxique à une ville qui étouffe ses enfants tout en les propulsant dans un univers où tout va trop vite. Au milieu de cet environnement en mutation permanente offrant à ses enfants des capacités qu’ils n’ont jamais demandées s’affrontent les ambitions, les recherches de liberté et les soifs de vengeance. A chaque nouvel événement étrange et parfois désastreux, les questions pleuvent. Pourquoi tout le monde reste dans cette ville-expérience où l’influence des gangs s’étend un peu plus chaque jour ? Quelle nouvelle bizarrerie réserve-t-elle à ses habitants ? Mais surtout : qu’est-ce que le Bliss, et que faire de ce terrifiant cadeau du destin ?
Chapitre ILe phénomène Eleanor
Actualités HRP
20.04.2023

Un sujet de foire aux questions a été créé pour regrouper les questions du discord.

10.04.2023

Ouverture du forum, allez lire le message d'introduction !

@Blisstown Whispers

Il paraît qu’un sous-sol supplémentaire est apparu sousl’ancien Caesar Palace en l’espace d’une nuit, après le grand“boum” que tout le monde a entendu.

@SinistreDoggo

Je suis passé devant un bâtiment qui n'était pas là hier. Il est immense, noir et semble être en construction depuis des années. Mais personne n'a jamais vu qui travaille dessus.

@AidenMystery

Je suis allé dans un parc qui était fermé pour la rénovation. Pourtant, j'ai entendu des rires et des cris d'enfants. En me retournant, j'ai vu des jouets bouger tout seuls.

@SkyeTheExplorer

Rejoindre le discord de BLISSTOWN
Le Staff

Eva Wolffhart

Fondatrice • MP

Zelkov

Trublion favori • MP

Instabilités du Bliss

On constate des disparitions, et beaucoup d'admissions à la clinique ...

-31%
Le deal à ne pas rater :
PC Portable Gamer Lenovo 15” – RTX 4060 Core i5-12450H RAM 16 Go ...
824.99 € 1199.99 €
Voir le deal

L’art et la manière de traîner une casserole

Frederick Byracka
Exilé(e)
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 Bb4z
Messages :
92
Âge :
30 ans
Origine :
Starcadia
Métier :
Chef pâtissier
Citation :

La vie est moins amère avec un petit morceau de sucre.
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
Ancien patron des "Délices du Bliss", connu pour ses pâtisseries aussi divines qu'onéreuses, Frederick avait pour habitude de vivre dans l'opulence. Se considérant comme génie culinaire et visionnaire dans son domaine, il vivait pour son Art.

Depuis la découverte de son Altération, il a choisi l'exile pour continuer à exercer sa passion sans vivre dans la peur constante d'empoisonner quelqu'un.

Le problème, c'est qu'il lui est bien difficile de trouver des ingrédients de qualités là où il se trouve à présent... Et il faut avouer qu'il peine un peu à se mélanger aux reclus de la société qui ont fait de Stone Belt leur terrain de chasse.
Frederick Byracka
https://blisstown.forumactif.com/t125-recettes-de-famille#231
https://blisstown.forumactif.com/t126-delices_du_bliss#235
Les remerciements de Sofia le mirent quelque peu mal à l’aise et il se hâta de secouer la tête, une manière de les rejeter sans s’exprimer à haute voix. Il n’était pas sûr de les mériter, ni d’être un jour en mesure de le pouvoir. La vision qu’elle avait de leur amitié était erronée : s’il y avait bien une personne qui était présente pour l’autre entre eux deux, il s’agissait de Dariel, et pas de lui. La réalisation lui laissait un arrière goût amer en bouche, surtout maintenant qu’il savait à quel point l’autre homme s’était éloigné de sa famille. Silencieusement, il se promit de faire son possible pour faire honneur à la confiance que lui accordait Sofia. Parce qu’il devait bien ça à Dariel, d’une part, et… parce qu’il ne savait que trop bien ce que c’était que d’être seul.

Profitant de son silence pour poursuivre, la jeune femme sourit agréablement puis lui révéla avec un air amusé et un clin d’oeil – décidément, les Vaughan et leur manière bien à eux de communiquer – que Dariel préférait de loin un bon chocolat viennois à toute autre pâtisserie. Alors comme ça, un grand gaillard comme ça préférait un bon chocolat chaud à un Affogato ? C’était mignon. Frederick cligna des yeux, pris de court tant par cette pensée fugace que par la remarque de Sofia qui lui souhaitait bonne chance. Comment ça, bonne chance ?

Il n’eut pas l’occasion de faire part de son incompréhension à la jeune femme (peut-être qu’elle oubliait de réserver son saladier au réfrigérateur avant de monter sa crème en chantilly ? C’était sans doute pour ça qu’elle pensait que le chocolat viennois n’était pas facile à préparer ?), que Dariel les rejoint. Devant la mine déconfite de son frère, Sofia n’hésita pas à le prendre dans ses bras; un geste décomplexé, signe de toute l’affection qu’ils avaient l’un pour l’autre. Frederick fut presque tenté de détourner les yeux pour leur laisser ce moment à eux, aussi bref qu’il soit. Les voir ainsi lui rappelait l’époque où, lui aussi, il avait eu une famille qui comptait sur lui. La sienne n’avait ressemblé en rien à celle de Dariel; s’il s’était mis en tête de prendre Lucie dans ses bras quand elle était triste, la petite fille lui aurait certainement collé l’une de ses peluches entre les bras et adressé un regard de reproche. Comme sa mère, elle avait du mal avec les démonstrations physiques d’affection, préférant de loin qu’il lui tienne silencieusement compagnie pour dessiner avec elle lorsqu’elle se sentait triste. Non, la famille Vaughan était aux antipodes de la sienne, mais l’amour filial restait le même. Un pincement au cœur, juste un, lui fit perdre son sourire l’espace d’un instant. Il n’avait pas autant pensé à elles depuis longtemps et il ne savait pas si cette information l'attristait ou non.

Alors qu’il était perdu dans ses pensées, Sofia s’éclipsa, appelée à son tour à aider à dresser la table. La place libérée à ses côtés, Dariel s’installa sur la banquette pour le tirer de sa rêverie d’un petit coup d’épaule. Il leva la tête pour lui adresser un sourire en retour, ce dernier perdant un peu de son éclat lorsqu’il remarqua les traits légèrement tirés de l’agent immobilier. Il avait l’air fatigué. C’était tout naturel; il ne s’était sans doute pas attendu à devoir le tirer des griffes de sa sœur. Frederick avait presque envie de s’excuser, mais les remerciements de Dariel l’en empêchèrent.

L’invitation à poursuivre la soirée chez lui le surprit, et il espérait que son étonnement ne se lise pas sur son visage. Il était malheureusement très expressif, et il y avait fort à parier que Dariel ait remarqué combien l’offre le prenait au dépourvu. Les confidences de Sofia encore fraîches dans son esprit, il se mordit la langue pour ne pas laisser échapper sa confusion à travers une flopée de mots en plus de son air potentiellement stupéfait. Et puis, il ne faudrait pas que Dariel se méprenne : ce n’est pas qu’il n’avait pas envie de refaire un crochet chez lui – pour voir la suite des aventures d’Indy, et pour les beaux yeux de Charlotte, évidemment –. Simplement… il aurait cru que ce serait la dernière des choses que Dariel souhaiterait. Qu’est-ce qui pouvait bien le motiver à éviter sa sœur chérie, mais à persister à l’inviter, lui ? Se sentait-il redevable de quelque chose pour une obscure raison ? Il avait l’air épuisé… Est-ce que c’était vraiment le moment de jouer aux hôtes parfaits ?

Dariel se pencha pour murmurer à son oreille avec un air conspirateur la série de mots la plus déroutante qui lui avait été donnée d’entendre depuis longtemps. Frederick n’avait pas nécessairement l’esprit mal placé, mais il n’était pas non plus un saint, et rien, absolument rien, de ce que disait Dariel n’avait de sens autrement que dans ce contexte, et, vraiment, est-ce qu’il avait loupé un épisode ? Il avait dû louper un épisode. Entre ce que semblait suggérer Dariel et le… moment… que Sofia avait tué dans l'œuf un peu plus tôt, il y avait un monde. Non, il avait sans doute mal comprit. Il pouvait lui demander de répéter; ça ne lui coûterait rien.

Malheureusement Dhélia choisit ce moment pour demander l’aide de son fils et Frederick se retrouva seul comme un imbécile, à se demander si c’était un jeu, pour les Vaughan, de s’interrompre les uns les autres à des moments cruciaux. Il aurait aimé questionner Dariel, mais ça ne se faisait pas de se lever d’un bond et de crier “Pardon ?!” à travers une pièce, surtout quand on était un invité. Dhélia l’aurait sermonné, et Frederick avait eu bien assez des remontrances de madame Vaughan pour toute une vie – et il était presque sûr qu’elle lui aurait demandé de s’expliquer, et il préférait éviter ce désastre, si possible –. A la place, il jeta un regard perdu à Sofia qui se détourna de la tâche capitale qu’on lui avait assignée (peaufiner le chemin de table) pour lui offrir un sourire encourageant. Bon. Il verra ça plus tard. Quoi que ça soit. Parce qu’il n’allait pas décliner une invitation à passer plus de temps à BlissTown. L’influence du Bliss, vous comprenez, et absolument pas sa propre envie de rester près de Dariel.

On annonça la suite du repas et Frederick retrouva sa place entre Claude et Dariel, refusant poliment de prendre une part de fromage. En vérité, il en aurait eu envie, mais personne ne mangeait du fromage sans l’accompagner d’une tranche de pain (pas durant un repas de famille, en tout cas, et certainement pas quand vous étiez invité; un minimum de bonnes manières, voyons). Du coup, Frederick n’eut d’autre choix que de se restreindre. Il n’allait pas demander à Dariel de lui faire ses tartines. Quoique, ça aurait fait parler Phoebe et rien que pour ça, il considéra l’option. Elle l’avait déjà regardé de travers lorsqu’il avait (poliment) refusé de prendre de la salade pour accompagner ses lasagnes. C’était trop risqué de marier deux composants sur la même assiette. Son altération était du genre susceptible.

Enfin, arriva le moment fatidique du dessert. Frederick mentirait s’il disait qu’il n'appréhendait pas un minimum cet évènement. Ce n’était pas tant la qualité de sa création qui l’inquiétait que tout ce qui se jouait autour d’elle. Sans être arrogant, il savait qu’il était doué : pour lui, cuisiner avait toujours semblé comme une seconde nature, savant mélange de précision et de générosité qui n’avait jamais eu aucun secret pour lui. N’empêche que c’était important que son travail soit reconnu à sa juste valeur. Pas tant pour lui que pour Dariel, qui avait chapeauté le projet avec attention.

Nana lui tapota énergiquement la main et il se pencha pour voir ce qu’elle lui voulait. Partager une anecdote, semble-t-il. Il haussa un sourcil lorsque la vieille dame lui confia que l’anniversaire de son petit-fils avait été gâché par un gâteau qui ne correspondait pas du tout à la demande de la famille. Une honte, et Frederick se demandait bien quel pâtissier avait pu commettre une erreur aussi grossière. Phoebe ne tarda pas à lui donner  la réponse en précisant qu’il s’agissait de l'Éther Spirituel, et même si Frederick ne la portait pas dans son coeur à l’heure actuelle, personne, pas même Phoebe, ne méritait d’avoir à consommer quelque chose qui provenait de ce simulacre de pâtisserie… Et encore moins Dariel. Comme s’il s’agissait d’une évidence, d’un fait indéniable, il nota que cette injustice ne pouvait rester impunie, et qu’à défaut de pouvoir remonter le temps pour éviter aux Vaughan de passer commande chez son ennemi juré, il pouvait au moins s’assurer que Dariel fête dignement son prochain anniversaire avec le meilleur gâteau qui soit – l’un des siens.

Sa boutique et l’Éther Spirituel étaient voisins. Et si la commande avait été passée chez lui, un an plus tôt, serait-il assis à cette même table aujourd’hui ? Aurait-il rencontré Dariel plus tôt ? L’aurait-il rencontré, tout court ? Le destin avait un sens de l’humour, mine de rien. Un sens de l’humour qui lui était propre, et qui existait majoritairement au frais des autres, mais un sens de l’humour tout de même.

Attrapant sa coupe de champagne pour contempler les bulles histoire de se donner quelque chose à faire en attendant que l’homme de la soirée rende son verdict concernant le gâteau soigneusement concocté par ses bons soins, Frederick songea qu’il aurait de loin préféré un café arrosé. Il avait toujours préféré le côté sucré des liqueurs à celui, plus prononcé, de cet alcool de fête. Et puis, quand on était nerveux, on pardonnait plus facilement de s’enfiler un espresso sublimé d’une lichée de liqueur, qu’une flûte de champagne. Car, quoi qu’il en dise, il était nerveux.

La sentence tomba et Frederick ne tarda pas à se retrouver noyé sous les compliments bien mérités. Son gâteau, comme il s’y attendait et sans grande surprise, était une tuerie (fort heureusement pas littéralement, et ça ne serait plus jamais le cas s’il avait quelque chose à dire sur le sujet). Il sourit aux louanges qu’on lui adressait, heureux que sa présence ce soir ait au moins permis de contenter la dent sucrée de l’ensemble des convives. Ou plutôt, de tout le monde, sauf Phoebe. Veillant à ne pas se rembrunir en revêtant son sourire le plus convainquant, il attaque sa propre part en essayant de ne pas trop prêter attention à la jeune femme assise en face de lui. Bien sûr, son refus de manger était prévisible, mais ça n’en était pas moins blessant.

Il cligna des yeux lorsque Dariel le bouscula un peu en se levant, tendant sa main armée d’une cuillère vers l’assiette de Phoebe et piquant un morceau de sa part de gâteau avec un sourire malin. Les protestations de la demoiselle devant l’attitude puérile de son frère firent doucement sourire Frederick qui était reconnaissant à Dariel de prendre la réaction de sa sœur à la rigolade pour l’inciter à mettre de côté ses appréhensions. Le compliment de Phoebe (bien vite noyé sous l’assurance que bien que le gâteau soit bon, il était au mieux égal à la tarte aux pommes de Nana), le fit sourire doucement. Cela ce voyait que ça lui coûtait de le dire, et pour être honnête, Frederick n’était pas sûr qu’à sa place, il se serait laissé tenté. Elle avait peut-être plus de jugeote que lui. Ou bien, elle faisait ça uniquement dans le but de ne pas céder à Dariel sa part de gâteau. Leur rivalité était tenace; ça pouvait très bien être le cas.

La main de Dariel se referma sur la sienne, sous la table, à l'abri des regards, et Frederick haussa un sourcil. Le compliment qu’il lui adressa le laissa un peu pantois, sans qu’il sache trop pourquoi. Il n’avait rien de spécial, et était factuellement vrai. Ce gâteau était meilleur que son crumble de la dernière fois. Il ne pouvait que l’être, pour l’amateur de chocolat qu’il était. Alors pourquoi il se sentait rougir ? Heureusement que son teint masquait la manifestation d’une émotion qu’il ne saurait nommer, ou il aurait été bien embêté et aurait peut-être dû se demander si c’était le compliment en lui-même, la personne qui lui adressait, ou le vouvoiement associé qui l’avait affecté. Ou un savant mélange des trois, mais c’était encore pire. Il baragouina quelque chose qui ressemblait vaguement à un “Merci.”, et leva la tête pour croiser le regard du père de famille lorsqu’il l'appela.

S’éclaircissant la voix, il remercia platement l’homme pour son compliment, plus gêné que fier. Autant Frederick savait qu’il était doué, autant accepter les compliments, lorsqu’ils venaient réellement du cœur, était un exercice encore compliqué pour lui. Il préférait les tourner en dérision, ce qui n’était pas possible face à quelqu’un comme Samuel Vaughan. Ou comme Dariel.

La dégustation du gâteau terminée, Frederick se proposa de récupérer les couverts et d’au moins rincer les assiettes et les cuillères, mais Dhélia lui dénia cette simple requête, insistant sur le fait qu’il était là en tant qu’invité et ajoutant, un poil taquine, qu’elle constatait qu’il était toujours réfractaire à l’autorité. Il se tassa un peu dans sa chaise, s’avouant vaincu.

Le temps de l’ouverture des cadeaux arriva bien vite, et Frederick ne put s'empêcher de constater qu’un thème bien particulier avait été suivi. Sans être redondants, les cadeaux concernaient tous l’univers de la cuisine, de près ou de loin. Le père de famille avait l’air absolument enchanté… contrairement à sa femme, qui zyeutait d’un air que Frederick ne pouvait qualifier que de mauvais, la petite machine à barbe à papa et la yaourtière qui avaient rejoint le kit de cuisine et les trois livres de recettes qui clamaient être nées de la patte de grands chefs étoilés. Discrètement, il se pencha vers Dariel pour lui faire part de sa remarque.

-    C’est moi, ou ta mère n’a pas l’air ravie ?

C’était discret. Dhélia Vaughan était une professionnelle, après tout. Mais elle était une professionnelle que Frederick avait eu le loisir de côtoyer quelques années durant. Ce regard, entre la déception, l’appréhension et la lassitude, il le connaissait parfaitement bien.
Dariel Vaughan
Townie
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 M7z2
Messages :
41
Âge :
33 ans
Origine :
Blisstown
Métier :
Agent immobilier
Surnom :
Dany
Citation :
Je vous fait visiter ?
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
L'humain est le fils du milieu, il possède une grande soeur et une petite soeur mais jusqu'ici je n'ai rencontré que lui en tant que représentant mâle de sa famille.
Une sombre histoire de prénom est au coeur des affaires familiales. Je ne comprends pas pourquoi. Dariel c'est joli pour un humain.

Je le tolère dans ma superbe demeure avec vue. C'est un bon colocataire, gentil et généreux. Il ne tolère aucune visite, aussi mon auguste personne n'est-elle jamais dérangée.

- pensées de Charlotte

L'humain part souvent pour son travail. Il vend des arbres à chat et des caisses à d'autres humains je crois. Avec bac à litière inclus !
- pensées de Charlotte

Notre vie est très tranquille. Il ne se passe jamais rien et ça me plaît ! Mais parfois, quand l'humain rentre, il ne se sent pas bien. Il est tout paniqué ou triste. Alors je le rassure par quelques ronrons. Et il m'aime encore plus.
- pensées de Charlotte



Dariel Vaughan
https://blisstown.forumactif.com/t157-les-visites-programmees-de-dariel
https://blisstown.forumactif.com
Son père était ravi. Il brandit l’un des livres, le fameux Tout le monde peut cuisiner, avec un air satisfait sur le visage, jurant ses ancêtres que “cette fois tout serait parfait”. Dariel réprima un soupir peu convaincu. Il n’était pas le seul, mais personne autour de la table n’avait à coeur de doucher les espoirs de celui dont on fêtait l’anniversaire aujourd’hui. Pourquoi ne s’était-il pas contenté de ses poissons exotiques, franchement ?
Dariel jeta un coup d’oeil à sa mère, à son nez retroussé et son visage clairement dépité. Elle n’y croyait pas du tout. Et sûrement qu’elle envisageait déjà comment faire abandonner à son mari cette lubie. Le fils de la famille rit tout bas, et répondit sur le même ton, penché tel un conspirateur près de son voisin de table.

“- Mon père est le pire cuisinier qui existe. Il y a quelques années il s’était déjà lancé dans ce passe-temps, mais il a arrêté après avoir intoxiqué ma mère.”

Ou plutôt, il avait arrêté lorsque Dhélia, patiente et compréhensive mais fatiguée de subir les expériences culinaires de son aimé, avait revendu tout son attirail de cuistot en herbe et redirigé l’attention de son époux vers ce qu’il maîtrisait : l’art noble des Lettres Anciennes. Il était professeur après tout. Professeur de Lettres. Proche de la retraite, ça oui, mais il donnait encore des cours. En plus des cours du soir au centre social du quartier, de temps en temps. Hélas, cette diversion n’avait duré qu’un temps. Samuel voulait retenter l’expérience.

“- Pour mes vingt-sept ans il a voulu préparer le dessert de mon repas d’anniversaire. Je n’ai pas osé lui dire non.” Et au vu de la grimace sur son visage à l’évocation de ce souvenir, il aurait dû. “C’était le pire riz au lait que j’ai mangé de ma vie. J’en ai été malade pendant deux jours. Et je n’en ai jamais remangé depuis.”

De là à dire qu’il détestait le riz au lait … Probablement oui, car juste de s’imaginer avoir une bouchée de ce dessert sur la langue et son estomac se tordit. Dariel chassa ce souvenir désagréable.

“- On aurait pu se servir de son riz au lait comme mortier pour monter un mur.”

Trop de sucre et pas assez en même temps, trop cuit et pas assez cuit en même temps, caramélisé sans l'être tout à fait, un exploit culinaire dans le mauvais sens du terme. Dariel s’était forcé à finir toute la verrine pour faire plaisir à son père. Il avait préparé ça pour lui après tout. C’était une preuve d’amour. Le soir même il l’avait passé avachi sur la cuvette des toilettes, incapable de faire la fête avec les autres. Comme il était le seul à en avoir mangé autant, il avait été le plus malade. Ce jour-là, toute la famille Vaughan l’avait passé couché, fiévreuse, une bassine à portée de main. Et Samuel avait joué les infirmiers, s’excusant à peine, imputant la faute à ce four défaillant. C’en était suivi une dispute entre lui et sa femme. Qu’on n’accuse pas sa cuisine ! Dariel rit à nouveau. En y repensant, c’était un souvenir plutôt amusant.

“- Le pire anniversaire, et le pire réveillon de Nouvel An que j’ai jamais passé. En plus j’étais cloué au lit les deux premiers jours de la nouvelle année.”

A vrai dire ça arrivait souvent qu’on lui gâche ses anniversaires. L’année dernière on lui avait apporté un gâteau imbibé de rhum. Trois ans auparavant, son gâteau avait littéralement pris feu à cause d’une bougie magique défectueuse, et d’un excès de décoration. Et puis il y avait toutes les autres fois. Souvent gâchées, toujours très drôles.
Il prit une gorgée de son verre. Les bulles éclataient sur sa langue. L’alcool n’était pas fort, légèrement sucré, assez pour être agréable à boire. Pas plus d’un verre avait-il dit. Dariel lança au récipient un regard emplit de méfiance. Il savait les effets de l’alcool sur son organisme. Et il savait combien le champagne pouvait être traître.

“- J’imagine qu’elle n’est pas contente de le voir recommencer ses expériences.”

Il tourna la tête vers Frédérick, laissa ses yeux accrocher les siens, dériver un bref instant sur ses tatouages qu’il entrapercevait sur son cou. Il avait envie de les voir en entier. Est-ce qu’il serait malade si Frédérick lui préparait du riz au lait ? Est-ce qu’il avait envie de tenter cette expérience ? Ce serait plus qu’improbable qu’il se sente mal avec la moindre préparation du pâtissier. Après tout, il lui avait fait manger une gourmandise contenant de l’alcool, et il l’avait aimée. Au-delà de son talent, Dariel avait cette certitude qu’il pouvait faire confiance à Frédérick pour le réconcilier avec n’importe quel aliment. Dans le domaine du sucré en tous cas. Car il se souvenait de sa réaction face à la pizza stracciatella fumée et il en rit. Sa compétence se limitait à la pâtisserie. C’était déjà pas mal. Il secoua à nouveau la tête. Puis il vida son verre d’une traite. Foutu pour foutu …

Le repas se terminait tranquillement. Claude était monté s’allonger. Nana somnolait sur la banquette, posée devant une série, ses yeux se fermaient tout seul. Phoebe la couvrit d’un plaid. Dariel aida sa mère à débarrasser. Cette fois, enfin, Dhélia avait accepté que Frédérick aide à nettoyer. Elle faisait la vaisselle de ses beaux verres en cristal, que jamais ils ne finissent au lave-vaisselle, autorisait le pâtissier à les essuyer -non sans un regard très explicite quant à ce qui l’attendait s’il en cassait un seul-, et Dariel les rangeait dans la partie du placard leur étant réservée. Les deux soeurs achevaient de ranger le salon.
Là dans la petite cuisine, Dariel étouffa un bâillement derrière sa main. Il avait abusé en prenant un deuxième verre. La tête lui tournait un peu, il avait chaud, mais il se sentait bien. D’ailleurs il riait à chaque fois que sa mère lui parlait, même s’il n’y avait rien de drôle.

“- Tu es ivre”, pointa-t-elle, légèrement désapprobatrice.
“- La faute à qui ? Tu sais que je tiens pas l’alcool.”

Elle lui asséna un léger coup de torchon, pour la forme.

“- Tu as l’air épuisé. Tu travailles trop.”

Dariel leva les yeux au plafond. Le travail, oui, bien sûr. Rien à voir avec sa dispute du début de soirée. Rien à voir avec son altération contre laquelle il luttait chaque fois qu’il entrait quelque part. Rien à voir avec sa culpabilité d’avoir trouvé son ami si bouleversé dans la salle de bain familiale. Dhélia lui tapota la joue et s’éclipsa, l’informant qu’elle lui appelait un taxi pour le ramener. Dariel souffla. Fatigué oui, mais un peu ailleurs aussi. Il avait l’impression de flotter et ça n’était pas désagréable. Il s’appuya contre le plan de travail, peut-être pour ne pas trop vaciller. Avec plusieurs secondes de retard il se rendit compte de la présence du pâtissier, encore là. Ca avait dû être difficile pour lui de subir ce repas au milieu de ces inconnus, en plus des insultes et des attaques de Phoebe. Il fallait s’excuser de ça. S’assurer qu’il allait bien désormais. S’excuser aussi de l’avoir plongé trop brutalement dans une famille de sauvages. S’excuser d’avoir peut-être réveillé des souvenirs douloureux. Est-ce que Frédérick avait une famille ? Est-ce que …

“- J’aime vraiment beaucoup tes tatouages.”

Minute. Ca n’avait absolument rien à voir avec ce qu’il devait dire. Dariel cligna des yeux plusieurs fois. On était certain de cette remarque ? Il secoua la tête. Allez, on se concentre !

“- Enfin, ce que je veux dire, c’est qu’ils te vont bien. Remarque c’est pas comme si tu pouvais les enlever … Quoique, c’est possible je crois.”

Il y réfléchissait beaucoup trop. Dariel pouffa de rire, de sa propre bêtise.

“- Désolé. J’ai un peu de mal avec l’alcool. Ca me fait dire n’importe quoi.”

Surtout ce qu’il pensait.

“- Au fait, je t’ai invité chez moi sans même savoir si tu voulais venir. Peut-être que t’as autre chose de prévu ? Que tu préfères l’hôtel ? Dis-moi si finalement tu veux pas, je comprends tu sais.” Cette fois il rit sans joie, tout en fixant un point sur le carrelage. “Je sais même pas si c’est une bonne idée que tu viennes … J’ai la trouille en vrai. Ouais j’ai, j’ai carrément peur !”

C’était la première fois qu’il faisait cette expérience. Qu’est-ce que ça allait changer ? Ca serait mieux ? Pire ? Ca ne ferait rien peut-être. N’était-pas cruel de se servir de Frédérick comme d’une expérience ? Il serait tellement déçu de l’apprendre, tellement blessé. Dariel serra les dents. Il arriverait à supporter de perdre un ami. Après tout ils ne se connaissaient pas tant que ça. Quelle était la date d’anniversaire du pâtissier ? Sa couleur préférée ? Son groupe préféré ? Qu’est-ce qui le rendait systématiquement de bonne humeur ? Qu’est-ce qui, au contraire, le rendait triste ? Un ami devait savoir ces choses-là, et Dariel n’en connaissait aucune. Tu parles d’un ami ! Dans le fond mieux valait que ça tombe sur Frédérick plutôt qu’un membre de sa famille. Ca, il ne s’en remettrait jamais. Même si … Même si dans le fond il se détesterait de faire du mal à quelqu’un d’aussi gentil. Il leva à nouveau les yeux sur Frédérick, perdu, désolé aussi. Il avait envie, besoin, d’être rassuré. Qu’on lui dise que ça se passerait bien et qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Mais au lieu de ça il sentit la chaleur mordre ses joues, et il s’entendit dire à voix basse des mots pour lesquels il se serait baffé de les avoir prononcés !

“- Mais tu sais, j’aime bien quand t’es là. Enfin …  tu sais … je t’aime bien, toi.”

Quoi que ce discours décousu veuille dire. C’était cohérent non ? Rongé par la gêne, Dariel se mit à rire, encore, et passa une main sur sa nuque, soudain très mal à l’aise. Il ne pouvait pas dire à Frédérick d’oublier tout ça. Ce serait ridicule en plus d’être méchant. Il se décolla du plan de travail, prêt à essayer de rattraper tout ça par encore plus de mots débiles qui l’auraient enfoncé plus qu’autre chose. Heureusement sa mère arriva au même moment pour lui dire que le taxi arriverait d’ici cinq minutes. Le temps de dire au revoir à tout le monde. Dariel vida un grand verre d’eau avec l’espoir que cela diluerait un peu les effets de l’alcool. On s’agitait dans le salon. Il se faisait tard, chacun devait rentrer. Cette distraction au moins lui évitait d’entendre son aveu tourner en boucle dans sa tête. “Je t’aime bien, toi.” Dariel, huit ans, avouant son affection à un copain dont il n’était même pas certain qu’il veuille être son copain. Ami. Ami. On se rassurait comme on pouvait.
Sa mère lui donna un sac contenant des restes de lasagnes et de gâteau, comme ça il n’aurait pas à cuisiner. Et de prendre tout le monde dans ses bras, d’embrasser chacun, et d’entendre des “je t’aime” qu’on glissait à l’oreille avec la promesse de se revoir bientôt, Dariel chassa son embarras. Il aurait le temps d’être mal à l’aise dans le taxi, lorsqu’il serait enfin en tête à tête avec Frédérick. Sans plus personne pour les interrompre.
Frederick Byracka
Exilé(e)
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 Bb4z
Messages :
92
Âge :
30 ans
Origine :
Starcadia
Métier :
Chef pâtissier
Citation :

La vie est moins amère avec un petit morceau de sucre.
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
Ancien patron des "Délices du Bliss", connu pour ses pâtisseries aussi divines qu'onéreuses, Frederick avait pour habitude de vivre dans l'opulence. Se considérant comme génie culinaire et visionnaire dans son domaine, il vivait pour son Art.

Depuis la découverte de son Altération, il a choisi l'exile pour continuer à exercer sa passion sans vivre dans la peur constante d'empoisonner quelqu'un.

Le problème, c'est qu'il lui est bien difficile de trouver des ingrédients de qualités là où il se trouve à présent... Et il faut avouer qu'il peine un peu à se mélanger aux reclus de la société qui ont fait de Stone Belt leur terrain de chasse.
Frederick Byracka
https://blisstown.forumactif.com/t125-recettes-de-famille#231
https://blisstown.forumactif.com/t126-delices_du_bliss#235
Est-ce que ça se faisait, de rire au nez et à la barbe de celui qu’on mettait à l’honneur ce soir même ? Certainement que non, ça devait peut-être même être un crime punissable de la peine capitale; ce qui n’empêcha pas Frederick de s'esclaffer devant l’air morose de Dariel qui lui contait ses malheurs face aux prouesses culinaires de son père, forçant le pâtissier à cacher son hilarité derrière son verre. L’homme n’avait clairement pas l’âme d’un chef s’il réussissait l’exploit de rater un riz au lait. D’ailleurs, qui se lançait dans la préparation d’un riz au lait pour célébrer l’anniversaire de quelqu’un ? Bon, remarquez… Si la préparation avait la consistance du mortier, au moins ils avaient dû réussir à planter les bougies dessus sans trop de difficultés.

Un rire menaçait de lui échapper alors qu’il pouvait sans trop de difficultés s’imaginer Dariel fixer d’un air dubitatif sa cuillère qui serait restée plantée tout droit dans son ramequin, et il fit l’effort de le contenir. Le pauvre en avait carrément été malade, et Frederick n’arrivait pas à concevoir comment c’était possible. A en juger par la mine contrariée de Dariel, ce dernier était fâché avec ce dessert qui se voulait pourtant réconfortant et Frederick se demanda distraitement si lui faire goûter du Khao Niao Mamouang (un dessert Thaïlandais à base de riz gluant, de lait de coco et de morceaux de mangues fraîches que Frederick appréciait énormément) le rabibocherait avec l’idée de se voir resservir un jour du riz au lait. Après tout, Dariel l’avait dit lui-même : il était parvenu à lui faire apprécier une aumônière contenant des fruits flambés alors qu’il n’aimait pas sentir de l’alcool dans ses desserts. Surement que lui permettre de donner une seconde chance au riz au lait n’était pas beaucoup plus compliqué.

Avec application, il nota que Dariel était visiblement né un trente-et-un décembre, et ajouta cette précieuse information à la maigre liste des choses qu’il savait sur lui, n’oubliant pas d’ajouter son dégoût pour le riz au lait à cette même liste. Bien, il en savait désormais presque autant que si Dariel avait été son nouveau collègue de bureau, et qu’ils venaient de passer vingt minutes à discuter autour d’un café au moment de leur pause. Et tout ça après seulement trois rencontres. Bien sûr, il n’y avait pas de petite victoire, mais c’était quand même un peu léger.

Ajoutant que la maîtresse de maison ne devait pas voir d’un très bon oeil le regain d’intérêt de son mari pour cette discipline maudite qu’était la cuisine, Dariel l’observa un instant, comme pour ajouter quelque chose d’autre, avant de préférer se taire et de terminer son verre de champagne pour se resservir dans la foulée, évitant soigneusement de s’attarder une nouvelle fois sur le visage de son voisin de table. Frederick cligna des yeux, se demandant pourquoi l’évitement soudain, qui en plus n’en était pas vraiment un, le dérangeait autant. Posant son verre de champagne devant lui, il prit un air songeur et fronça légèrement les sourcils en considérant l’homme assis à ses côtés.

-    Hum, je vois, dit-il, faussement  pensif, Au moins je comprends maintenant d’où tu tiens ta maladresse en cuisine. Ça ne pouvait pas venir du côté maternel; ta mère est douée.

Il s’assura de sourire juste assez pour que Dariel ne le prenne pas mal (il le taquinait, c’est tout), et laissa les conversations s’étioler autour de lui sans vraiment y participer. Mine de rien, la soirée lui en avait demandé beaucoup. Il était fatigué, plus moralement que physiquement, mais fatigué quand même. L'angoisse qui l’avait maintenue en alerte depuis les accusations de Phoebe jusqu’au service du dessert, tombait à mesure que les assiettes se vidaient enfin, il avait le sentiment de pouvoir respirer librement. Il était à présent libéré d’un poids et, paradoxalement, il regrettait presque cette liberté retrouvée. Avec cette pression qui ne lui comprimait plus la poitrine, il se sentait presque trop léger, trop rapidement. Comme un plongeur qui, après une descente laborieuse en apnée vers les fonds marins, oubliait de remonter à la surface par palier et s’en mordait les doigts. Il avait un mal de crâne pas possible, et aurait mille fois troqué sa (très bonne, il fallait l’avouer) coupe de champagne contre un grand verre d’eau et un analgésique.

Le repas touchait à sa fin et les doyens de la famille ne tardèrent pas à prendre congé, signifiant la fin des festivités et le début du grand nettoyage. Cette fois, il fut invité à mettre la main à la pâte, pour son plus grand bonheur. Ça lui donnerait quelque chose d’autre à faire que de compter les secondes qui séparaient les intervalles de chaque petit coup toqué dans son crâne. La survie des verres en cristal (et la sienne, par la même occasion) dépendait de son sérieux et de sa concentration. A ses côtés, terminant la chaîne d’opération très bien huilée qui voyait Dhélia à la vaisselle, Frederick au séchage et Dariel au rangement, l’agent immobilier qu’il avait accompagné cette nuit gloussait à chaque rappel de sa mère à être prudent avec ses précieux verres en cristal qui auraient très bien pu être de Baccarat, tant elle semblait y tenir.

Les remontrances légères de Dhélia, qui avait troqué son tablier de maton pour celui de maman inquiète, surprirent quelque peu Frederick. Ainsi, Dariel ne tenait pas l’alcool. Encore heureux, dans ce cas, qu’il ne s’était pas mis en tête de lui servir un shot de Chartreuse lors de sa visite dans la Stone Belt. Si deux coupes de champagne avaient raison de lui, Frederick ne donnait pas cher de sa peau face à une telle liqueur. A bien l’observer, c’est vrai qu’il avait l’air un peu ailleurs, un poil plus léger. Frederick avait naïvement mis cela sur le compte d’un relâchement lié à l’apaisement général après que la tempête qui avait menacé l’intégrité de la petite réunion familiale se soit dissipée. Il n’aurait jamais pensé que l’alcool puisse à ce point affecter Dariel. Lui-même se sentait à peine différent, plus focalisé sur ses maux de tête que sur une potentielle influence de l’alcool.

Il sourit doucement en voyant Dhélia secouer la tête, exaspérée et attendrie à pareilles mesures, comme seuls les parents savaient l’être avec leurs enfants. La mère de famille avait beau demander à ce qu’il se comporte en adulte responsable quand sa sœur été concernée, il était clair qu’elle n’hésitait pas à le materner en cas de nécessité. C’était attendrissant, de les voir tous les deux. Surtout que Dariel, d’habitude bien plus pudique, ne s’empêcha pas de lever les yeux au ciel devant le commentaire inquiet de sa mère. On voyait bien que c’était son fils, le privilégié. Si Frederick s’était permis ça, à l’époque, elle lui aurait fait regretter de laisser libre cours à son exaspération.

Les précieux verres mis en sécurité, Dhélia s'éclipsa deux minutes pour appeler un taxi à son fils, les laissant seuls dans la cuisine. Appuyé contre le plan de travail, Frederick cligna des yeux lorsque Dariel se coula juste à côté de lui pour le regarder intensément. Deux, trois, dix secondes passèrent sans qu’aucun des deux ne dise rien, Frederick un peu trop occupé à essayer de ne pas sourire en coin devant l’air concentré de Dariel. A quoi pouvait-il bien penser de si important, que ça demande son entière concentration de la sorte ? La réponse ne tarda pas à arriver, sous forme d’un commentaire aussi réfléchi que spontané. Il aimait bien ses tatouages. Allons bon.

Les explications confuses de l’agent immobilier le firent rire, lui faisant quelque peu oublier sa migraine naissante, et il se jura de ne pas (trop) taquiner Dariel lorsqu’il sera à nouveau suffisamment maître de ses paroles pour être mortifié par l’absence de filtre dont il faisait preuve. Frederick avait participé à son lot de soirées; il avait pris part à suffisamment de beuveries pour savoir ce que c’était, de succomber à l’influence de l’alcool. Pour sa part, ayant l’alcool triste, il évitait de boire au-delà de ses limites. Ce qui ne l’avait jamais empêché de s’amuser, surtout quand il faisait clairement l’objet des convoitises de certains.

Cela faisait longtemps, d’ailleurs, qu’il ne s’était plus senti désiré. Plus longtemps encore, qu’il était tenté de se laisser séduire et il avait un peu de mal à savoir si la sensation que cela lui procurait était positive ou non. L’art de la séduction avait toujours été un jeu facile pour lui. C’était aussi simple que de monter des blancs en neige : il suffisait de connaître ce qui faisait tiquer son interlocuteur -ici, les dessins qui marquaient sa peau et ne demandaient visiblement qu’à être découverts plus en détail-, et de jouer dessus. Dariel n’était pas exactement subtil dans son intérêt, et l’effet désinhibiteur de l’alcool n’arrangeait pas la chose. Soit. Le côté charmeur de Frederick lui avait toujours servi dans la vie, lui permettant assez facilement d’obtenir ce qu’il voulait. Seulement, que voulait-il ? C’était bien là la question à un million de dollars. Et il n’avait pas la moindre idée de la réponse.

Lorsque Dariel enchaîna avec un rire sans joie, précisant qu’il était nerveux à l’idée d’accueillir le pâtissier chez lui pour la seconde fois, Frederick eut envie de se claquer. Il l’aurait peut-être même fait, s’il n’avait pas eu aussi mal à la tête. Avait-il déjà oublié les paroles de Sofia et la promesse implicite qu’il lui avait faite ? Dariel avait besoin d’un ami, de quelqu’un sur qui compter. Peu importe qu’ils ne connaissent à peine, et que seul l’appel téléphonique bien tombé d’une maman poule soit à l’origine de sa présence ici ce soir. C’est à lui qu’on avait demandé de veiller sur Dariel, si ce n’est que pour ce soir. L’agent immobilier désirait peut-être une chose, mais il avait certainement plus besoin d’un ami que d’autre chose. Et quand à ce que Frederick voulait… Ça n’avait pas d’importance pour l’instant. De toute façon, ça ne devait même pas être si important, ou il serait en mesure d’expliquer ce qu’il souhaitait, ce qu’il espérait – et ce n’était absolument pas le cas –.

Malgré tout, il ne résiste pas à l’envie de le taquiner. Juste un peu, histoire de lui renvoyer la balle. Parce qu’il le mérite un peu, pour le faire tant douter.

-    Je vous aime bien aussi, monsieur Vaughan.

Ponctuant sa déclaration d’un sourire plein de dents, il songea que le vouvoiement tant redouté n’avait pas exactement le même impact quand ça venait de lui. Les Vaughan étaient en supériorité numérique, et il avait un peu l’impression de s’être involontairement adressé au père de famille, actuellement penché sur la table des matières de l’un des livres de recettes, à la recherche du plat qui deviendra son magnum opus. C’était un peu perturbant, mais heureusement Dariel se contenta juste d’un rire gêné, plutôt que de faire la grimace. La prochaine fois, il l'appellerait simplement par son prénom, au Diable les parallèles.

Le retour de Dhélia sonnait l’heure du départ, et Frederick choisit de se tenir en retrait, pas tout à fait mis à l’écart, mais pas tout à fait à sa place non plus. Laissant Dariel dire au revoir aux siens, il lui succéda, plus indécis, pour leur faire ses adieux. Félicitant le père de famille pour la poursuite de son nouvel hobby, il souhaita une belle soirée à Sofia et remercia au passage la maîtresse des lieux pour son invitation, la complimentant une dernière fois sur sa cuisine avant d’emboiter tout naturellement le pas à Dariel lorsque le taxi annonça son arrivée d’un ping sur le téléphone de Dhélia qui les mis gentiment à la porte pour ne pas faire attendre leur chauffeur, mandaté pour les conduire au pied de l’immeuble de Dariel, et pour amener Frederick où il le désirait. Dhélia ne s’était pas voulu présomptueuse, mais elle avait bien remarqué le petit sac de voyage que trimballait Frederick.

Une fois installés l’un à côté de l’autre à l’arrière du taxi, le pâtissier fut d’abord tenté de coller sa tête contre la vitre fraîche du véhicule pour profiter d’un instant de répit, à défaut d’avoir un antalgique sous le coude. Il se ravisa en notant l’énergie nerveuse qui se dégageait par vague de Dariel, comme s’il attendait que quelque chose de terrible se produise. Frederick abandonna son idée première et, à la place, il pencha la tête sur le côté, observant Dariel avec une attention chirurgicale. Il ne le comprenait pas. Ni ses motivations, ni ce qui pouvait bien le freiner, ni même ce qu’il attendait de lui. Il ne le comprenait pas, et pourtant, il avait l’impression que lui le comprenait mieux que quiconque. C’était frustrant. Incroyablement frustrant. Il aurait pu lui demander. Le regarder droit dans les yeux, et froncer légèrement les sourcils, à l’image de Dhélia Vaughan. Il aurait pu, mais il n’en fit rien. Parce que si Dariel lui laissait le loisir de se dévoiler à son rythme, alors il lui laisserait la même chance. Ou du moins, il essayerait.

-    Dis-moi. Pourquoi tout le monde t'appelle Dany ?

Sa question, bien la plus innocente qui soit, sembla débloquer quelque chose chez Dariel. Le reste du trajet se déroula sans anicroche, ponctué par les jeux de questions-réponses visant à se connaître l’un, l’autre. Ainsi, Dariel put apprendre que la pâtisserie préférée de Frederick était le Mendiant, qu’il adorait le pot-au-feu et que sa matière préférée avait toujours été l’école buissonnière, quelle que soit son année d’étude. Qu’il était né un huit mai, et qu’il n’avait jamais eu la fibre artistique avant d’être fasciné par les entrailles d’une vieille bécane qu’il avait trouvé abandonnée au bord d’une route déserte, et qu’il avait appris patience et minutie en s’efforçant de la remettre sur roues. Qu’il avait toujours aimé pâtisser, mais qu’il détestait plus que tout suivre des recettes. A son échelle, nerveux et la parole au moins aussi libérée que décousue, Dariel lui rendit la pareille en lui livrant l’une et l’autre anecdote. De quoi faire passer le temps jusqu’à leur arrivée au pied de l’immeuble de Dariel.

Une fois la course terminée, et une note maximale de cinq étoiles attribuée au chauffeur, ils prirent la route du penthouse. A la différence de sa première visite où il avait suivi un raquetteur – un investisseur – en culotte courte jusqu’au dernier étage en se sentant plus petit que son guide miniature, cette fois, il était plus à son aise. Le hall d’entrée était toujours aussi austère que la dernière fois, mais la compagnie à ses côtés rendait l’expérience surnaturelle plus plaisante.
Dariel Vaughan
Townie
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 M7z2
Messages :
41
Âge :
33 ans
Origine :
Blisstown
Métier :
Agent immobilier
Surnom :
Dany
Citation :
Je vous fait visiter ?
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
L'humain est le fils du milieu, il possède une grande soeur et une petite soeur mais jusqu'ici je n'ai rencontré que lui en tant que représentant mâle de sa famille.
Une sombre histoire de prénom est au coeur des affaires familiales. Je ne comprends pas pourquoi. Dariel c'est joli pour un humain.

Je le tolère dans ma superbe demeure avec vue. C'est un bon colocataire, gentil et généreux. Il ne tolère aucune visite, aussi mon auguste personne n'est-elle jamais dérangée.

- pensées de Charlotte

L'humain part souvent pour son travail. Il vend des arbres à chat et des caisses à d'autres humains je crois. Avec bac à litière inclus !
- pensées de Charlotte

Notre vie est très tranquille. Il ne se passe jamais rien et ça me plaît ! Mais parfois, quand l'humain rentre, il ne se sent pas bien. Il est tout paniqué ou triste. Alors je le rassure par quelques ronrons. Et il m'aime encore plus.
- pensées de Charlotte



Dariel Vaughan
https://blisstown.forumactif.com/t157-les-visites-programmees-de-dariel
https://blisstown.forumactif.com
Dans l’écrasante majorité des cas, monter dans un taxi n’éveillait pas, ou presque, l’altération de l’agent immobilier. On vivait rarement de grands moments dans un taxi. La plupart du temps il ne ressentait qu’un vague brouillard, quelque chose de si furtif qu’il n’y prenait pas garde et ne remarquait même pas. Bien sûr il y avait des exceptions. Comme cette fois où, malencontreusement, il avait pris de plein fouet le souvenir d’une passagère en train d’accoucher dans le véhicule. Terreur et douleur s’étaient mêlées dans un cocktail explosif qui l’avait envoyé au tapis pendant plus d’une heure. Il avait dû expliquer au chauffeur que, non, pas besoin de le conduire aux urgences. Pour dire quoi ? Il s’en était sorti en abrégeant sa course et s’était laissé tomber dans une ruelle de Starcadia à même pas cinq minutes en voiture de chez lui. Même dans ce quartier chic, les petites ruelles ne donnaient pas forcément envie. Dariel y était resté là, à demi caché derrière les poubelles. Il lui avait fallu reporter son rendez-vous, rentrer chez lui, et recommencer sa journée. Il gardait de cet évènement une admiration sans borne pour les femmes enceintes, ces guerrières de tout temps.

Heureusement cette fois, pas de contractions à l’horizon, ni de prise de bec avec le chauffeur, ni … Ni cette fois où il avait pris le même taxi qu’un homme ayant occupé son trajet à se faire offrir une petite gâterie par la charmante demoiselle à ses côtés. Force et respect aux chauffeurs, ces personnes devaient en voir des choses au cours de leur carrière. Non cette fois il ne ressentit rien de particulier et il en remercia le ciel après cette soirée. Il aurait d’ailleurs pu s’endormir là, mais la nervosité le tenait éveillé. Pourquoi il s’angoissait autant ? Ca se passerait bien. Pourquoi en serait-il autrement ? La dernière fois, le pâtissier avait aimé son séjour dans son appartement. Ne restait qu’à reproduire la même chose et …

Et la question l’arracha à ses pensées teintées d’angoisse. Dariel cligna des yeux plusieurs fois, revenant au moment présent et à son voisin de banquette. Ah oui. Cette question. Il pouffa de rire. Peu de gens savaient, car personne ou presque ne le voyait avec sa famille.

“- C’est … On va dire que c’est un peu une blague dans ma famille cette histoire.” Et aujourd’hui encore personne ne savait démêler le vrai du faux. “Je devais m’appeler Daniel. C’était le prénom du défunt mari de Nana. Mais, mon père s’est trompé à l’état civil au moment de me déclarer. Et ma mère était à la maternité, elle n’a su qu’après coup ce qui s’était passé. Mon père dit que c’est sous le coup de l’émotion d’avoir un fils. On avait annoncé que je serais une fille. Alors tu penses bien qu’ils étaient surpris à ma naissance. Mais ma mère pense qu’il avait surtout un peu trop bu ce jour-là et que sa langue a fourché.”

Même lui, aujourd’hui, riait de raconter cette histoire. Petit, il détestait quand on se moquait de lui à cause de ça. Il détestait son prénom. Il détestait son surnom. Mais aujourd’hui il les avait accepté tous les deux, et les aimait tous les deux. A part sa famille, rares étaient ceux à user de ce surnom. Ses amis proches, qu’il comptait sur les doigts d’une main, l’appelaient parfois ainsi. Et ses anciennes copines. Mais rarement de manière aussi affectueuse que sa famille, et souvent pour les reproches, ou pour s’approprier un peu de lui. En tous cas il le percevait ainsi. Une façon de forcer le rapprochement. De lui voler un peu de ce qu’il avait d’intime. Est-ce que Frédérick agirait comme ça lui aussi ? Est-ce qu’il avait envie de l’autoriser à employer son surnom ? Un peu. Il était curieux de l’entendre rouler sur la langue du pâtissier, de voir comment, dans sa bouche, il sonnerait. Comme quelque chose de formel ? D’autoritaire ? De condescendant ? Avec cette pointe de supériorité propre à la personne qui croit qu’elle tient pour acquis son affection et son estime ? Ou au contraire comme quelque chose de plus doux et d’amusant ? Est-ce qu’il y ferait résonner cette note de complicité que Dariel avait l'impression de partager avec cet homme qu’il connaissait si peu au final ? Et s’il tentait l’expérience ? Est-ce que ça signifierait quelque chose ? Est-ce qu’il avait envie que ça signifie quelque chose ? Dariel se fit nonchalant, prenant l’air un peu détaché alors que dans le fond il appréhendait déjà les conséquences de son acte.

“- Ça me dérange pas que tu m’appelles comme ça si tu veux.”

Frédérick en ferait ce qu’il en voudrait. La question eut au moins le mérite de lui faire oublier un peu de son angoisse, et Dariel suivit avec plaisir ce petit jeu des questions-réponses improvisées avec le sourire. Il apprit que Frédérick avait le même âge que sa soeur, à un mois près et il se garda de faire le moindre commentaire. Il apprit qu’il avait affaire à un passionné de moto, de pâtisserie -il s’en serait douté- et à un homme peu conciliant avec les règles. Qu’il s’agisse de l’autorité ou de suivre une recette. En retour Dariel lui apprit que sa couleur préférée était le vert, qu’il n’était jamais monté sur un moto et que de toute façon il s’était cassé le bras en tombant d’un cheval alors jamais sa mère ne l’aurait autorisé à poser ses fesses sur une moto. Qu’il était très superstitieux à cause de Nana, qu’il avait même crû jusqu’à très tard à l’existence des fantômes et des monstres. Même si aujourd’hui il remettait en question un tas de choses à cause du Bliss. Et que son amour des vieux films lui venait de sa mère.

Le taxi les déposa au pied de l’immeuble de Dariel. Il sortit son pass, entra dans le hall et appela l’ascenseur. Il se réjouissait que, là encore, rien de particulier ne soit arrivé dans cet ascenseur, l’obligeant à définitivement le bouder pour lui préférer les escaliers. Surtout qu’il habitait haut. Et qu’à cette heure il n’avait pas du tout envie de s’infliger ça. Mais si un jour cela arrivait, pouvait-il faire changer l’ascenseur ? Ou faire installer un second, privé, pour sa seule utilisation ? Définitivement il se ferait regarder de travers par les autres habitants. Déjà qu’on ne manquait jamais de lui servir ces sourires d’hypocrite lorsqu’on le voyait. Dariel savait qu’on parlait de lui de temps en temps, de ce type dans son penthouse, jamais fichu d’apporter ne serait-ce qu’une quiche à la fête des voisins. Un sauvage. Un excentrique. Un type qui se pensait au-dessus des autres avec son fric. S’ils savaient …

La porte de son appartement s’ouvrit sur Charlotte, et son accueil de miaulements. Immédiatement un sourire fleurit sur les lèvres de Dariel. Il se pencha pour la prendre dans ses bras avant même de poser ses affaires et retirer ses chaussures, la couvrant de câlins et de bisous au sommet de la tête. Il noya son visage dans sa fourrure. Puis, parce qu’il n’était pas seul, il la reposa sur le sol. Comme à chaque fois maintenant, au bout de quelques secondes, un sentiment de bien-être le traversa. Il aimait rentrer chez lui, ressentir cette impression d’être à sa place, plus encore depuis que Frédérick y avait laissé ce souvenir. Quel dommage que le pâtissier ne puisse pas percevoir ça. Est-ce qu’il devait lui en parler ? Dariel considéra la chose une seconde, et finalement décida que non. Pas ce soir. Ils étaient fatigués. Ils ne tiendraient certainement pas longtemps à ce rythme, et la perspective de s’allonger sous la couette attirait bien plus l’agent immobilier qu’une baignade dans l’eau chaude de son jacuzzi. Mais il ne devait pas en oublier son devoir d’hôte pour autant. Un hôte encore sous l’effet de l’alcool, fatigué, et peut-être moins guindé que d’ordinaire, mais un hôte tout de même. Un hôte assez maître de lui pour ne pas manquer certains détails, comme les grimaces de son invités par moment et ses yeux un peu plus brillants que d’ordinaire. Fatigue, mal de crâne peut-être ? Entre les explosions d’émotions et le bruit dans la petite maison de ses parents, il y avait de quoi. Ici au contraire tout n’était que calme, et ça faisait du bien. Alors pour ne pas briser ce calme, Dariel parla bas. Il prit les affaires de Frédérick d’une main, posa l’autre sur son front. Non il ne semblait pas avoir de fièvre, même s’il était un peu chaud. La fatigue, à n’en pas douter.

“- Tu te souviens de comment fonctionne la douche ? Vas-y le premier.”

Et lui pendant ce temps rangea ce qui devait l’être, remplit la gamelle de Charlotte, prépara deux thés, ne sachant pas si son invité en voudrait, et chercha de quoi apaiser le mal-être du pâtissier. Et tandis qu’il s’affairait à tout ça, il se demanda si Frédérick pouvait prendre le médicament lui-même. Dariel ne connaissait pas les détails de son altération, mais il savait que ça avait plus ou moins à voir avec ce qu’il ingérait. Dans le doute, il lui prépara la version effervescente, certes pas agréable à boire, mais au moins il pourrait la prendre au besoin. On mettrait cela sur sa propension à être un hôte parfait.

Puis ce fut son tour de passer par la salle de bain. Il laissait son invité entre de bonnes pattes. Les ronrons de Charlotte pouvaient apaiser n’importe quel mal de tête ou tension. Cette fois, Dariel pensa à enfiler et un sous-vêtement, et un t-shirt. Propre, les dents brossées, ses cheveux secs, la fatigue tomba plus encore sur lui. Et il avait sérieusement envisagé de prolonger la soirée alors qu’il attendait une seule chose : se mettre au lit ? Il doutait même de réussir à rester éveillé devant Indy. Mais plus que l’envie d’aller se coucher, celle de rester encore un peu auprès de son invité le poussait à outrepasser ses limites. L’alcool descendait enfin. Dariel avait repris ses esprits, et plus au clair avec ses pensées, il retrouva Frédérick et Charlotte. C’était mignon de les voir ensemble.

Dariel avait repassé le fil de cette soirée. Les bonnes choses. Comme les moins bonnes. Les choses perturbantes sur lesquelles il n’arrivait pas à mettre de mot. Les choses drôles qui lui arrachèrent un sourire. Et toutes ces fois où il était clair qu’il était à deux doigts de céder à son … Son attrait ? Intérêt ? C’était normal en si peu de temps ? Après tout pourquoi pas ? Les coups de coeur ça ne se décidaient pas. On pouvait très bien craquer sur le physique de quelqu’un et s’y abandonner le temps d’une nuit. Il l’avait déjà fait plus d’une fois. Mais là c’était différent. Dariel y avait pensé sous la douche. Il n’avait même pensé qu’à ça. Et la conclusion s’était imposée d’elle-même : Frédérick lui plaisait. Beaucoup. Et il ne s’en cachait pas. Toutefois il n’avait pas du tout envie  de profiter de l’autre homme. Déjà parce que, au-delà du physique, Dariel aimait aussi la personnalité du pâtissier. Il était touchant, amusant, et généreux. Il avait envie de le connaître plus que ça. Et puis, une chose en appelant une autre, Dariel en était venu à un état des lieux très concret de la situation : il n’avait jamais éprouvé ça pour un homme. De l’attirance teintée de curiosité, oui. A qui ça n’était pas arrivé ? Mais ça, quoi que ce soit, non. Est-ce que ce serait si terrible de se laisser porter un peu ? De juste aller voir ? Peut-être bien que oui. Et si ce n'était pas réciproque ? C’était dangereux de mêler ce genre de pensée dans une amitié naissante. Ca pouvait blesser l’autre, en plus de le blesser lui. Et s’il se trompait ? Et si …

Dariel s’assit à côté du pâtissier, lança le film par défaut, avec le son assez bas pour préserver leurs têtes trop lourdes. Et plutôt que d’aborder le sujet qui le taraudait tant, Dariel choisit de repartir sur quelque chose de neutre.

“- Tu t’es surpassé. Pour mon père. C’était ce que je voulais. Je ne sais pas s’il a compris le message, tu sais, mon père … Il ne comprends pas toujours ces trucs-là.”

Un peu comme lui. Dariel n’arrivait pas à trouver quoi dire d’autre. Il était arrivé à ce point où il luttait, obligeant sa raison à prendre le pas sur le reste. Il se força à rester concentré.

“- Et tu as été incroyable avec ma famille. Alors qu’ils n’ont pas été tendres avec toi. Vraiment. J’admire ton sang-froid. Et ta patience. Et … C’est difficile d’imaginer que tu étais un gamin turbulent et …”

Et il n’allait pas se lancer sur ce sujet là quand même ? Bien sûr des questions il en avait plein, mais sur des sujets graves, sérieux. De ceux sur lesquels on ne se confiait pas à deux doigts de tomber de fatigue. Dariel referma ses doigts sur le coussin de la banquette. Il avait l’impression d’être comme Frédérick la dernière fois, à se cacher derrière des faux semblants pour ne pas parler de ce qui le tourmentait vraiment. Et ça se voyait. Il savait que ça se voyait. Son esprit focalisé sur une question : que ce serait-il passé si Sofia ne les avait pas interrompu ? Oh il le savait. Il le savait très bien.

“- Et en fait, j’ai peut-être menti sur, sur un point. Ou … d-disons que j’ai peut-être … Atténué la vérité.”

Il força un rire pour se donner du courage, surtout pour masquer sa gêne. Dariel s’enfonça au fond de la banquette, ses yeux fixaient sans les voir les images du film à l’écran. Finalement il les laissa dériver sur le côté, jusqu’à accrocher ceux de Frédérick. Si jamais il se trompait, si tout ça n’était qu’une vue de son esprit, la faute à son altération, il ne se le pardonnerait jamais. Avec beaucoup de prudence il s’approcha, et posa sa tête sur l’épaule du pâtissier. Il ferma les yeux, se laissa apaiser par l’odeur du gel douche.

“- La vérité c’est que … tu me plais beaucoup.”

C’était dit. Une pierre lui tomba dans l’estomac, lui noua les entrailles. Il se retenait de le prendre dans ses bras. A tout moment Frédérick pouvait s’éloigner s’il le voulait. Dariel comprendrait.

“- J’ai pas envie que, que tu sois mal à l’aise alors … Enfin, si jamais tu trouves que j’abuse, je me vexerais pas. Je sais pas si c’est clair.” Non ça ne l’était pas. “Et j’ai pas envie que tu te force à quoi que ce soit pour me faire plaisir. Juste, je devais te le dire. Pour être honnête.”

S’il était réellement honnête il lui aurait dit pour son altération. Mais dans le fond, maintenant qu’il avait avoué ça, il ne pouvait pas parler du reste. A coup sûr Frédérick le verrait comme une attirance provoquée par une déformation, causée par le Bliss. Pitié faites que ça ne soit pas ça. Dariel rouvrit les yeux, Il reconnut la scène du film, s’y accrocha pour ne pas angoisser du silence que ces mots avaient fait naître.


Dernière édition par Dariel Vaughan le Sam 29 Juil - 10:23, édité 1 fois
Frederick Byracka
Exilé(e)
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 Bb4z
Messages :
92
Âge :
30 ans
Origine :
Starcadia
Métier :
Chef pâtissier
Citation :

La vie est moins amère avec un petit morceau de sucre.
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
Ancien patron des "Délices du Bliss", connu pour ses pâtisseries aussi divines qu'onéreuses, Frederick avait pour habitude de vivre dans l'opulence. Se considérant comme génie culinaire et visionnaire dans son domaine, il vivait pour son Art.

Depuis la découverte de son Altération, il a choisi l'exile pour continuer à exercer sa passion sans vivre dans la peur constante d'empoisonner quelqu'un.

Le problème, c'est qu'il lui est bien difficile de trouver des ingrédients de qualités là où il se trouve à présent... Et il faut avouer qu'il peine un peu à se mélanger aux reclus de la société qui ont fait de Stone Belt leur terrain de chasse.
Frederick Byracka
https://blisstown.forumactif.com/t125-recettes-de-famille#231
https://blisstown.forumactif.com/t126-delices_du_bliss#235
L’appartement était le même, tout aussi impersonnel que la dernière fois. Un show-room certes attractif, mais auquel il manquait ce je-ne-sais-quoi qui faisait d’un appartement son chez-soi. C’était d’autant plus flagrant qu’il venait de passer la soirée chez les Vaughan, dont la maison regorgeait de petites choses et d’autres qui n’avaient leur place que chez eux. A première vue, l’espace dans lequel évoluaient Dariel et Charlotte manquait d’âme : d’une beauté froide, luxueux sans être accueillant. A première vue, car quiconque mettait les pieds chez Dariel se rendrait vite compte que l’appartement avait bel et bien une âme. Cette dernière était actuellement en train de presser sa joue contre la petite tête du félin qui les avait accueilli à l’entrée, la couvrant de câlins.

Dariel déposa Charlotte avec précaution sur le sol et le coeur de Frederick, qui avait décidé de trahir toute la confiance qu’il plaçait en lui pour rester concentré, se serra de le voir employer une telle délicatesse avec l’animal qui aurait tout aussi bien pu se servir de ses bras comme rampe de lancement, pour un saut bien plus haut que les deux mètres, ou presque, qui la séparaient du sol. L’agent immobilier était beaucoup trop mignon pour son propre bien, ou, en l'occurrence, celui de Frederick. Charlotte s’étira mollement avant de trottiner vers le second humain qui n’avait plus qu’à remplir son devoir sacré pour lui offrir à son tour quelques caresses.

Lorsqu’il se redressa, Dariel attrapa d’une main le sac qu’il avait posé par terre le temps de saluer la propriétaire principale du logement et lui tendit pour qu’il se dirige vers la salle de bain. L’invitation sonnait comme une petite bénédiction, surtout après avoir eu la bonne idée de se pencher en avant un peu trop longtemps pour saluer Charlotte. Son crâne le rappelait à l’ordre maintenant qu’il était à nouveau en position verticale, la pression dans sa tempe augmentant d’un coup. Il grimaça, et la main de Dariel se posa sur son front, manquant de le faire sursauter. L’agent immobilier avait l’air songeur, un peu contrarié, et il ne commenta pas plus son geste avant de se débarrasser de sa veste et de vaquer à ses occupations le temps que Frederick prenne possession de la salle de bain.

Déposant son sac sur le rebord de l’évier, il commença par passer un peu d’eau sur son visage dans une maigre tentative de chasser sa fatigue naissante, puis s’appuya contre la faïence pour s’observer un instant dans le miroir. C’était difficile de soutenir son propre regard; d’une part car la lumière dans la pièce était un peu trop vive à son goût malgré le modulateur d’intensité lumineuse, courtoisie de l’abondance de tons blancs. D’autre part, car il avait la sensation plutôt désagréable que son reflet le jugeait, juste un peu, juste de quoi lui donner envie de détourner les yeux sans trop savoir pourquoi. Finalement, il farfouilla dans ses affaires pour tirer le nécessaire et se diriger vers sa némésis de la dernière fois. Avec un peu de chance, il réussira à prendre une douche chaude, cette fois.

A peine quelques minutes plus tard, sa tenue de nuit enfilée la seconde où il était sec, Frederick se séchait les cheveux sommairement. Il ne se les était pas lavé, mais quelques gouttes d’eau avaient réussi à s'y accrocher, malgré qu’il les avait attachés sommairement. Au moins les astres avaient dû avoir pitié de lui, car cette fois-ci il réussit à se laver sans subir l’assaut d’une eau glacée, et c’était plutôt agréable, même si l’expérience semblait alourdir un peu son corps. Le débit et la pression de l’eau étaient juste assez importants pour s’attaquer aux nœuds de tension qui avaient noué ses épaules sans qu’il s’en aperçoive, et il soupira doucement en rangeant ses affaires.

De retour dans le séjour, passant le relai à Dariel qui avait l’air éreinté, il s’installa sur le canapé et zyeuta le verre que Charlotte tapotait du bout de la patte, attirée par les petites bulles qui éclataient rapidement à la surface et par le bruit qui les accompagnait. Dariel lui avait glissé avoir préparé de quoi soulager sa tête lourde, et il était à présent clair qu’il ne parlait pas que du film qu’il avait brièvement lancé avant de le mettre en pause. Secouant légèrement la tête, il attrapa le verre pour avaler son contenu d’une traite ou presque, non sans grimacer. Il détestait profondément la version effervescente des médicaments; il restait toujours une partie qu’il n’arrivait pas à finir et qui le narguait au fond de son verre, quoi qu’il fasse. Mais Dariel – prévenant, amiable et visiblement toujours disposé à écouter les besoins des autres plus que les siens – le lui avait préparé, et c’était inconcevable qu’il ne fasse pas l’effort d’y toucher. Parce qu'apparemment, l’agent immobilier avait ce genre de pouvoir sur lui.

Déposant le verre vide sur le plateau, Frederick se reposa contre le dossier du canapé, laissant à Charlotte tout le loisir de choisir ses genoux comme prochain lieu de repos. Le félin ne manqua pas de s’y rouler en boule, prête à ronronner à la seconde où la main du pâtissier glissa vers sa tête pour lui gratouiller l’arrière des oreilles avec attention, avant de glisser sur son dos. Elle avait la belle vie, mine de rien. Aucune contrainte, pas la moindre obligation, et tout ce qu’on lui demandait, c’était de se montrer affectueuse avec son colocataire qui lui rendait son affection au centuple. On avait connu pire, comme conditions de vie. Elle aurait par exemple pu perdre son commerce et se retrouver coincée à la Stone Belt. Il ricanna légèrement à cette pensée stupide. D’étoile montante à rat du désert à deux doigts de jalouser un chat. Il y avait de quoi rire.

Fermant les yeux, il se concentra sur les ronronnements de Charlotte, véritable petit moteur sous couvert de poils. Est-ce que c’était bête de penser qu’il aurait souhaité que Dariel habite un peu plus loin de chez ses parents ? Ou que le trafic à cette heure soit aussi dense qu’aux heures de pointe ? Sans doute. Mais ça aurait rendu le trajet en taxi plus long, et Frederick, dans le fond, aurait bien aimé ça. Pas que le canapé n’était pas mille fois plus confortable que la banquette arrière d’une voiture qui avait un peu trop vécu, mais ça avait été plaisant, de discuter de tout et de rien. Il espérait en apprendre plus sur Dariel : sans forcément parler de son altération, il voulait savoir les choses les plus mondaines le concernant. Parce que sous ses airs gardés, il était intéressant. Et peut-être que, dans son cas, intéressant et mignon étaient synonymes.

Daniel. Frederick testa le nom, y songea un moment, puis fronça le nez en grimaçant légèrement. Non, vraiment, ça ne lui allait pas. Dany, à la rigueur, mais Daniel ? Absolument pas. Il repensa à ce que l’agent immobilier lui avait glissé; concernant son surnom. Ça ne le dérangeait pas qu’il l’utilise, boutade familiale ou non. Pour Frederick, les surnoms n’avaient jamais vraiment eu de signification ou d’importance particulière. Lui-même n’en avait pas vraiment. Mis à part Sandy qui s’était récemment mis en tête de l'appeler “mitron” à tout va (et c’était théoriquement son métier, donc côté originalité, on repassera), il n’en avait jamais eu, mis à part l’un  ou autre “Fred !” exaspéré ci et là, mais rien qui n’ait de signification quelconque. Pas vraiment. Donna lui avait bien assigné un nom-signe, et c’était bien le seul qui avait une quelconque importance, mais ce n’était pas comme s’il pouvait le partager avec Dariel. Parce qu’il était à elle, et qu’il n’appartenait qu’à eux.

D’ailleurs, s’il se mettait à l'appeler Dany, aurait-il en retour le droit à un surnom ? Est-ce qu’il le voulait vraiment ? Et est-ce que c’était réellement le moment de philosopher sur quelque chose d’aussi simple ? Frederick soupira longuement. Ce devait être un testament de l’importance grandissante de Dariel à ses yeux, pour qu’il en vienne à se poser ce genre de question existentielle.

-    Qu’est-ce que tu en penses toi, hum ? murmura-t-il à l’attention du chat.

Charlotte en pensait que les bipèdes se posaient beaucoup trop de questions. Elle miaula brièvement, doucement, et ronronna de plus belle lorsque Frederick rit, surpris de sa réponse. Elle avait sans doute raison. Tant de sagesse, dans un si petit corps. Pas étonnant que Dariel y soit tellement attaché.

En parlant du loup, l’agent immobilier réapparu en tenue de nuit, et Frederick aurait pu se claquer en s’entendant songer brièvement que ça ne l’aurait pas dérangé de le retrouver à nouveau torse nu. Heureusement, il n’eut  pas le temps d’être mortifié par ses pensées traîtres, Dariel prenant place à côté de lui. Charlotte leva les yeux sur son compagnon habituel et, après un regard qui aurait pu vous faire douter du fait qu’elle ne soit pas en train de sonder votre âme, elle quitta les genoux de l’humain de substitution pour aller se coucher à côté de Dariel.

Les compliments qu’il lui adressa le firent sourire doucement, presque timidement. C’était une chose d’être remercié sur le coup, lorsque vos papilles étaient assaillies de saveurs et que la gratification était instantanée. C’était tout autre chose de prendre le temps de le complimenter, lui, et pas seulement sa création. Apparemment, Dariel avait du mal à s’imaginer l’adolescent turbulent – et à dire vrai, turbulent était un mot beaucoup trop gentil pour décrire celui qu’il avait été avant de connaître Donna – que semblait décrire sa mère. Il est vrai qu’il s’était assagi avec le temps. Il n’avait pas eu le choix. Peut-être qu’il lui en dira plus, un jour, si ça l'intéresse. Mais pas ce soir. Ce soir, il priait pour que son foutu mal de crâne, déjà bien atténué mais encore présent (comme un bleu persistant à vous faire mal alors que le choc initial était passé depuis bien longtemps) disparaisse enfin. Ce n’était pas le moment de ressasser le passé.

La voix de Dariel s’éleva à nouveau, porteuse d’une confession qu’accompagnait un rire gêné, et il le laissa se pencher vers lui et déposer sa tête contre son épaule. Si ça pouvait l’aider à trouver ses mots, alors il lui servirait d’appui, quoi qu’il veuille dire. Lentement, prudemment, Dariel lui offrit une vérité à laquelle il ne pouvait pas nier s’être attendu, mais qui le surpris de la même façon que si elle lui était tombé sur le coin du nez. Plusieurs émotions conflictuelles se succédèrent dans son esprit, des flashs rapides, un peu violents, qui se mêlèrent pour former un amas peu digeste qui se logea dans un coin de son estomac. Une part égoïste de son être en voulait presque à Dariel d’avoir osé formuler ses pensées.

C’était méchant, aux antipodes de ce qu’il disait vouloir pour lui, mais l’espace d’un instant, il aurait préféré que l’autre homme se taise. Pourquoi compliquer les choses ? Pourquoi ne pas simplement continuer de faire comme si de rien était, et le laisser croire – espérer, ou alors redouter ? – que tout ceci n’était que le fruit de son imagination. Le résultat d’une éducation un peu trop portée sur les démonstrations publiques d’affection, et d’une attirance magnétique qu’il éprouvait. Ça aurait été plus simple, tellement plus simple, de reconnaître une simple envie charnelle et de contenter tout le monde. Sa vie était trop compliquée pour s'embarrasser de sentiments. Mais ce n’était pas uniquement de ça que Dariel parlait quand il disait qu’il lui plaisait, ou il ne réagirait pas ainsi, tendu, un peu perdu, et prêt à accepter la sentence qu’il estimait la plus juste.

Cette réalisation balaya son rejet initial, et il s’en voulu d’avoir pensé de la sorte, même brièvement. Quel piètre ami il devait faire, à être prêt à écouter ce qu’on avait à lui dire, simplement si ça ne l’affectait pas en retour. Car ce qu’avait dit Dariel l’affectait, grandement même. L’amour (non, l’affection) ne se remportait pas comme un prix que l’on gagnait. Frederick ne le savait que trop bien, on ne choisissait pas qui nous aimait (qui nous affectionnait), ni pourquoi, exactement, ces personnes le faisaient. On ne pouvait pas non plus choisir si c’était réciproque de notre côté ou non. C’était ça qui était beau avec l’amour – ou l’affection, peu importe, le résultat était le même – : il vous tombait dessus sans crier gare, et n’en avait absolument rien à carrer de si c’était le bon moment pour vous. En ce sens, amour et Bliss étaient un peu pareil. Les deux avaient la capacité de le blesser, et les deux l’avaient fait. Mais Dariel… Dariel n’en avait pas l’intention, et ça devait bien compter pour quelque chose, pas vrai ?

Lentement, avec une hésitation mêlée d’appréhension, il leva la main pour la poser sur l’épaule de Dariel, appuyé contre lui. L’action le força à se détourner quelque peu et à la déloger, et il la sentit se tendre sous ses doigts. Merde, est-ce qu’une fois dans sa vie, il pouvait réfléchir à ce qu’il faisait ?

-    Hé, non, c’est pas–

Les actions avaient plus de poids que les mots, aussi continua-t-il sur sa lancée, reprenant le geste amorcé pour le mener à terme. Ses mains passèrent dans le dos de Dariel et, pour la première fois, il l’attira contre lui. L’angle n’était pas le meilleur, le geste un peu maladroit, mais il ne se laissa pas dissuader pour autant. C’était plus simple qu’il ne l’avait imaginé. Gardant une main sur le dos de Dariel, paume à plat, il leva son autre main pour la poser à l’arrière du crâne de l’agent immobilier, et l’invita à poser son front au creux de son épaule. L’impulsion était brève, le geste léger mais sûr, et sa main resta posée sur la tête de Dariel. Ses doigts passèrent dans ses cheveux, juste une fois, juste pour savoir s’ils étaient vraiment aussi doux qu’ils en avaient l’air, et il secoua la tête.

-    Tu ne me mets pas mal à l’aise, d’accord ? Tu…

C’était frustrant, d’avoir tant de choses qui se bousculaient dans son esprit, et absolument aucun mot pour les exprimer de façon concise. Évidemment que Dariel ne le mettait pas mal à l’aise. Dans un monde où beaucoup s’accordaient à le faire se sentir comme n’étant pas à sa place, ça n’avait jamais été le cas de l’agent immobilier. C’était même tout le contraire, mais de là à l’exprimer à haute voix, il y avait un monde. Soupirant doucement, agacé par sa propre incapacité à s’exprimer, il ferma les yeux. Des fois que ça l’aide à réfléchir.

-    Merci, De m’apprécier ? De me l’avoir dit ? Qui sait. Certainement pas Frederick, Tu sais, tu as le droit… De, euh, de dire ça. Je veux dire, c’est pas… Enfin, c’est normal de se sentir bien avec quelqu’un. Et tu as le droit de te sentir bien. Et d’aller mal, aussi. Pas que– Pas que j’ai envie que tu ailles mal. Non, c’est pas… Mais ça ne changerait rien pour moi, que tu ailles mal. Enfin, si, mais…

Oh bon sang, ça recommençait. Est-ce qu’il pouvait, par pitié, aligner trois mots cohérents avant de totalement perdre Dariel dans un flot de paroles incompréhensibles, même pour lui ? Frederick inspira profondément.

-    Ce que je veux dire, c’est que tu n’es pas obligé de tout contrôler, tout le temps. Tu as le droit d’être toi, et de ressentir… ce que tu veux. Et si un jour tu es énervé parce que tu t’es pris la tête avec ta sœur, ou que tu n’es pas d’humeur à plaisanter, tout ce que ça me donnera envie de faire, c’est de t’écouter. Quoi que tu dises.

Il resserra sa prise sur le dos de Dariel. Et bien que ça n’ai absolument rien de sexuel, d’apporter une pointe de confort à quelqu’un qui en avait visiblement besoin, c’était intime malgré tout. Frederick ne voulait pas que ça s’arrête. Il rit doucement à cette réalisation, se surprenant lui-même du son qui lui échappe; presque un gloussement. Depuis combien de temps ne s’était-il pas senti aussi léger ?

-    Je devrais plutôt me sentir flatté. Toi aussi, tu me plais, tu sais.

Pas beaucoup, parce qu’étrangement ce petit mot avait la fâcheuse tendance à diminuer la valeur de ce qu’il accompagnait. Il lui plaisait. Tout simplement.
Dariel Vaughan
Townie
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 M7z2
Messages :
41
Âge :
33 ans
Origine :
Blisstown
Métier :
Agent immobilier
Surnom :
Dany
Citation :
Je vous fait visiter ?
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
L'humain est le fils du milieu, il possède une grande soeur et une petite soeur mais jusqu'ici je n'ai rencontré que lui en tant que représentant mâle de sa famille.
Une sombre histoire de prénom est au coeur des affaires familiales. Je ne comprends pas pourquoi. Dariel c'est joli pour un humain.

Je le tolère dans ma superbe demeure avec vue. C'est un bon colocataire, gentil et généreux. Il ne tolère aucune visite, aussi mon auguste personne n'est-elle jamais dérangée.

- pensées de Charlotte

L'humain part souvent pour son travail. Il vend des arbres à chat et des caisses à d'autres humains je crois. Avec bac à litière inclus !
- pensées de Charlotte

Notre vie est très tranquille. Il ne se passe jamais rien et ça me plaît ! Mais parfois, quand l'humain rentre, il ne se sent pas bien. Il est tout paniqué ou triste. Alors je le rassure par quelques ronrons. Et il m'aime encore plus.
- pensées de Charlotte



Dariel Vaughan
https://blisstown.forumactif.com/t157-les-visites-programmees-de-dariel
https://blisstown.forumactif.com
Heureusement il y avait Charlotte. Charlotte et ses ronrons. Charlotte et ses yeux verts dans lesquels on se noyait pour oublier le reste du monde. Charlotte et ses pattes collées l’une à l’autre, fondues dans la masse de poils noirs, assise à observer ces deux humains aussi idiot l’un que l’autre. Charlotte qui sauta sur le dossier de la banquette et s’y allongea, couvant du regard son maître et son invité. Ils seraient définitivement perdus sans elle, pauvres petites choses trop fragiles pour ce monde.

Dariel ne s’était pas attendu à grand-chose en laissant échapper cette vérité que, peut-être, au fond, il aurait dû retenir. A être rejeté ? Un peu ? A se prendre un mur de silence ? Un rire et un “c’est gentil merci” ? Et n’était-ce pas un peu ce qu’il recevait d’ailleurs ? Sa bouche s’était asséchée à ce remerciement qui tombait un peu comme un cheveux sur la soupe. Mais c’était de sa faute. Il aurait mieux fait de se taire. C’était un peu plus douloureux que ce qu’il avait imaginé. Et il était à deux doigts de lui répondre de laisser tomber, d’oublier tout ça et de faire comme si de rien n’était. Ca valait mieux dans le fond. Et puis sûrement qu’il se faisait des films, que l’alcool n’aidait pas à y voir clair, que … Oui il aurait pu dire tout ça parce que les paroles de Frédérick le laissaient penser qu’il fallait reculer de ce chemin pénible sur lequel il venait de mettre un pied et de se casser la figure. Mais les actes du pâtissier, en revanche, ne suivaient pas vraiment ses mots. Parce qu’il le prenait dans ses bras, maladroitement, un peu, et le serrait contre lui, avec plus de force que Dariel ne l’avait imaginé.

Il leva les yeux vers Frédérick sans parvenir à le voir, la position l’en empêchait. Mais il l’entendit rire. Et à son tour il rit, soulagé d’entendre que la réciproque était vraie. Lui aussi plaisait à Frédérick, quoi que ça veuille dire. Peu importait ce que ça voulait dire. Ca lui mettait du baume au coeur, gonflait sa poitrine de joie et chassa la crispation de ses muscles. Dariel lui rendit son étreinte, et nicha son visage contre son cou, un bras passé dans son dos et serré autour de sa taille. Il se sentait léger. Plus léger que depuis le début de la soirée. Plus que tout, de savoir qu’il avait quelqu’un à qui se confier s’il le voulait le fit sourire plus encore. Ca faisait tellement de bien de sentir qu’on n’était pas seul, qu’une oreille se tenait prête à vous écouter cracher votre venin ou pleurer tout votre saoul. Même si Frédérick se trompait sur un point : Dariel ne cherchait pas à tout contrôler. Pas tout le temps. Chez lui, oui, pour éviter que de mauvais souvenirs imprègnent ses murs. Mais en dehors il avait appris à se laisser porter par le karma. Après tout, qui était-il pour lutter contre le Grand Tout ? D’où se mêlait-il des plans cosmiques de l’univers, lui petite poussière ? Il n’en dit rien, préférant rire encore. C’était débile de rire comme ça. Il fallait que ça s’arrête. Un jour il lui expliquerait tout, et Frédérick comprendrait. Du moins il l’espérait. Mais en attendant ce jour, il savait qu’il avait quelqu’un sur qui s’appuyer. Et il espérait que le pâtissier sache bien qu’il en allait de même pour lui. N’importe quand, qu’il sonne à sa porte ou appelle en pleine nuit, Dariel l’aiderait. Autant qu’il le pouvait.

“- Merci,” souffla l’agent immobilier.

De l’accepter comme ça, d’être un ami sur qui il pouvait compter, d’être lui, tout simplement. Dariel se redressa, assez pour enfin pouvoir croiser le regard de Frédérick, sans pour autant totalement échapper à ses bras.

“- Ça vaut pour toi aussi.”

Surtout en ce qui concernait la colère car il en avait beaucoup trop en lui. Il se laissa à nouveau aller contre l’épaule du pâtissier, encore un peu, juste pour profiter de l’étreinte un instant de plus. Ca ne devait pas s’arrêter. Là, il était bien. Porté d’un côté par les échos du film en fond, et par la respiration posée de son cadet de l’autre. Frédérick était plus jeune pourtant il faisait plus mature sur bien des points. Plus fragile sur d’autres également.
Sa main était allée trouver celle du pâtissier et à présent il laissait son index parcourir l’intérieur de sa paume ou remonter le long de ses doigts, selon ses envies. Les yeux dans le vague, parfois posés sur la course décousue de son index, parfois dérivant sur l’écran de la télévision, et souvent à revenir sur la peau foncée de Frédérick et ses dessins sombres. Il aurait pu les toucher, demander l’autorisation, mais n’en fit rien. Une autre fois. Car autant Dariel pouvait se montrer tactile sans trop de difficulté, autant il avait remarqué qu’il n’en n’était pas de même pour Frédérick. La faute à l’éducation des Vaughan chez qui montrer son affection relevait du banal. On se prenait tout le temps dans les bras, on se collait dès qu’on s’installait quelque part, c’était important. Ces petits moments volés de réconfort dans une journée la rendait toujours plus douce. Dariel aimait beaucoup ça, et ça lui manquait énormément, ce contact, cette affection, depuis qu’il vivait seul. Bien sûr il y avait Charlotte, mais tout de même, on ne pouvait pas comparer. Charlotte était mieux. Et il rit de cette pensée, non sans chercher où se cachait sa colocataire. Toujours allongée, endormie.

Dariel se releva, le dos un peu endolori. L’inconvénient de cette position tenait à ce qu’il était plus grand que le pâtissier, et se plier en deux comme ça, il ne pouvait pas tenir très longtemps sans finir par avoir mal. Il s’en serait bien excusé mais ce n’était pas de sa faute si la nature en avait décidé ainsi. La fatigue commençait à se faire lourde, mais il refusait d’aller se coucher. Pas seul. Pas maintenant. Mais il ne se voyait pas demander à Frédérick de venir avec lui, dans son lit, à tous les coups ce serait mal interprété. Et sûrement un peu trop direct, un peu trop violent comme transition.
Il ne savait pas quoi dire pour retarder le moment d’aller se coucher. C’était frustrant de sentir qu’on approchait de la fin du temps qui vous était impartis, de tout faire pour essayer de le retenir tout en sachant que ça ne servait à rien. A cela s’ajoutait la peur que demain, au réveil, après que l’alcool et les émotions fortes de la soirée aient totalement disparu, ils se comportent comme si ces confessions n’avaient jamais eu lieu. C’était possible. Plus que possible. Dariel soupira, laissa son front venir se poser contre celui de Frédérick. Toutes les phrases qui lui venaient en tête étaient stupides. Inutiles. Elles sonnaient faux. Sauf une peut-être, qui le fit pouffer de rire.

“- On a raté tout le début du film.”

Dire qu’à la base il voulait regarder la suite avec lui, s’amuser de le voir commenter et comparer le deuxième épisode de la saga au premier. Tant pis. Ils le remettraient depuis le début au pire. On pouvait recommencer le visionnage d’un film à l’infini ou presque. On ne pouvait pas repasser les moments importants de sa vie pour les revisionner et les corriger, accélérer ceux qu’on aimait pas et repasser en boucle ceux qu’on adorait jusqu’à les connaître par coeur. Et Dariel savait qu’il s’agissait de l’un de ces moments. Un de ceux importants qu’il ne fallait pas gâcher. Mais contrairement aux acteurs d’un film, lui n’avait pas eu la chance de connaître le scénario à l’avance, ni les conséquences de ses actes ou de ses mots. Il ne pouvait qu’espérer ne pas se planter. Espérer éviter le fiasco. Espérer ne pas faire n’importe quoi. Espérer ne pas brûler les étapes. Est-ce qu’il y avait des étapes ? Et pourquoi il y réfléchissait autant ? Les doigts de sa main se posèrent sur le cou de Frédérick, sur ces dessins noirs obsédants dont il suivit les contours avec légèreté, cédant finalement à la tentation. La même légèreté que ses lèvres à peine posées sur celles de Frédérick. Rien de plus que ça. Et il se recula, assez pour laisser l’autre respirer, assez pour retrouver lui aussi un peu d’air. Il retira sa main pour venir saisir le poignet du pâtissier. Dariel s’allongea de tout son long sur la banquette encore assez large pour deux, et attira Frédérick contre lui, anticipant sa crispation d’une parole qui se voulait rassurante. Ils s’allongeaient juste. Quitte à regarder le film, autant être bien installé.

A peine couché et le sommeil lui tomba dessus, lourd, implacable. Dariel étouffa un bâillement dans un long soupir. Allongé sur le côté, son torse contre le dos de Frédérick, il fit tomber le plaid sur eux dans un geste propre à celui qui a l’habitude de se coucher ainsi sur sa banquette. Enfin calé, Dariel vint nicher son visage contre la nuque de Frédérick, les yeux clos, un bras passé sur la taille du pâtissier. Au moins là il pouvait parler sans être vu, c’était moins gênant.

“- J’ai pas envie d’aller me coucher sans toi”, marmonna-t-il contre sa nuque. “Mais j’ai peur que tu trouves ça trop bizarre de venir dans ma chambre.”

Il s’endormait déjà. Et à moitié entre le sommeil et l’éveil, comme avec l’alcool, il disait n’importe quoi. Surtout ce qu’il retenait en temps normal. Mais Frédérick lui avait dit d’être lui, non ? Et Dariel était un homme angoissé. Un homme peu sûr de lui lorsqu’il s’agissait de son affection. Ca ne le dérangeait pas de donner, d’être avenant, d’être serviable. Mais là il donnait un petit peu plus que tout ça. Et il avait peur, si peur d’être blessé et que ça fasse plus mal que prévu.

Il marmonna quelque chose, d’incompréhensible, avant de sombrer dans le sommeil. Sa tête lui faisait mal, un peu. Mais pas autant que cette peur sourde, cette petite voix insidieuse qui lui murmurait qu’il ferait mieux d’arrêter d’être aussi collant. Alors il relâcha un peu son étreinte, sursauta, et sans ouvrir les yeux souffla à l’oreille de Frédérick.

“- Mais si tu veux que je te laisse je partirai …”

Dariel s’endormit comme ça, à moitié apaisé d’avoir Frédérick contre lui, à moitié effrayé à l’idée que le “vrai lui” ne plaise finalement pas tant que ça au plus grand pâtissier de Starcadia.
Frederick Byracka
Exilé(e)
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 Bb4z
Messages :
92
Âge :
30 ans
Origine :
Starcadia
Métier :
Chef pâtissier
Citation :

La vie est moins amère avec un petit morceau de sucre.
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
Ancien patron des "Délices du Bliss", connu pour ses pâtisseries aussi divines qu'onéreuses, Frederick avait pour habitude de vivre dans l'opulence. Se considérant comme génie culinaire et visionnaire dans son domaine, il vivait pour son Art.

Depuis la découverte de son Altération, il a choisi l'exile pour continuer à exercer sa passion sans vivre dans la peur constante d'empoisonner quelqu'un.

Le problème, c'est qu'il lui est bien difficile de trouver des ingrédients de qualités là où il se trouve à présent... Et il faut avouer qu'il peine un peu à se mélanger aux reclus de la société qui ont fait de Stone Belt leur terrain de chasse.
Frederick Byracka
https://blisstown.forumactif.com/t125-recettes-de-famille#231
https://blisstown.forumactif.com/t126-delices_du_bliss#235
Les bras de Dariel se refermèrent sur son dos avec une aisance que Frederick lui enviait presque. Bien qu’il sache pertinemment que l’autre homme n’allait pas le repousser, il avait hésité à le prendre dans ses bras à son tour. Dariel ne semblait pas avoir le même genre de problématique, et la spontanéité dont il pouvait faire preuve était aussi admirable que surprenante. A chaque fois que Frederick en était témoin, il s’étonnait de la manière dont l’agent immobilier, si gardé par moment, savait s’adapter là où lui freinait des quatre fers. C’était aussi fascinant qu’effrayant, cette facilité avec laquelle il l’invitait à embrasser la nouveauté sans jamais le pousser dans ses derniers retranchements. Frederick était curieux de savoir jusqu’où cela les mènerait.

Le remerciement n’avait pas lieu d’être, mais il ne le questionna pas. Il eut en revanche envie de protester (de rejeter) l’affirmation de Dariel qui ne pouvait pas se rendre compte de ce qu’il lui offrait en lui assurant avec un petit rire qu’il pouvait, lui aussi, tout lui confier. Il avait déjà bien assez à faire avec sa propre altération pour que Frederick lui fasse part de la nature profonde de ce qui l’avait conduit à troquer sa vie à Starcadia contre un petit coin isolé de la Stone Belt. Ce serait égoïste de sa part de mettre ses propres soucis en avant. Ce serait dangereux, également. Ce qui se tissait entre eux était fragile : si jamais Dariel apprenait que sa sœur avait raison, qu’il s’était brouillé avec sa famille pour défendre quelqu’un qui ne le méritait pas–. Frederick ferma les yeux, refusant d’accepter cette réalité. Le seul acte égoïste ici, c’était de continuer à se taire en connaissance de cause.

Plutôt que de se torturer l’esprit (il y aura toujours le lendemain pour ça), il se concentra sur les tracés légers que Dariel imprimaient sur sa peau d’un geste posé, rassurant par son rythme lent et le fait qu’il ne rompait jamais le contact. Les figures formées sur sa paume n’avaient aucune signification particulière, courant de l’intérieur de sa main jusqu’au bout de ses doigts, et Frederick le laissa faire en se demandant s’il réalisait à quel point il était privilégié de pouvoir continuer son exploration sans qu’il ne referme la main pour couper court au contact pourtant si agréable. Ses mains étaient précieuses : il laissait rarement les gens les manipuler à leur guise. Elles pouvaient également se montrer létales malgré elles, et les voir ainsi choyées lui asséchait la gorge.

Le moment suspendu passa bien trop vite, les deux hommes rattrapés par leur grand âge – on ne plaisantait pas avec ces choses là, la trentaine ne pardonnait pas; Frederick n’avait jamais pensé qu’un jour il se coincerait un nerf en se tournant trop énergiquement dans son lit, et pourtant ça lui était arrivé plus d’une fois –. Dariel se redressa et le pâtissier se décala légèrement pour le laisser s’installer correctement, avant de se rapprocher à nouveau pour garder un point de contact entre eux. Il sourit lorsque Dariel rapprocha leurs visages pour l’informer avec un petit rire qu’ils avaient raté de début du film. Constat édifiant s’il en était un.

Il jeta un coup d'œil à l’écran, histoire de se donner bonne conscience. Vraiment, ce n’était pas que le film n’était pas intéressant. C’était juste que la personne à ses côtés l’était encore plus. Et n’était-ce pas aussi terrifiant qu’exaltant, de penser cela de quelqu’un que vous connaissiez à peine ? Il leva les yeux vers Dariel lorsque sa main effleura son cou avant de s’y nicher précautionneusement et il lui sourit, interrogateur. Si l’autre homme espérait qu’il puisse suivre le film comme ça, il se trompait lourdement. Il ne risquait pas de réussir à se concentrer sur les péripéties d’Indy s’il essayait en même temps de deviner de quelle fleur, ou de quelle feuille qui ornait sa peau, il traçait le contour. Se tournant à nouveau pour faire face à Dariel, son cœur battant un peu plus fort dans sa poitrine – trop fort, bien trop fort ; Dariel allait certainement sentir son pouls qui s’emballait sous ses doigts –, ses yeux furent attirés par ses lèvres. Un coup d'œil discret, furtif, mais suffisant pour être interprété correctement par son receveur qui posa ses lèvres sur les siennes.

A l’image de Dariel, le baiser était empreint de tendresse. Il ne pouvait être qualifié que de papillon; fragile, délicat, et connaissant une fin prématurée, soufflé avant d’avoir réellement déployé ses ailes. Frederick déglutit, nerveux, avant de s’humecter légèrement les lèvres. L’affection, il préférait la donner (au moins comme ça, il n’avait pas besoin d’attendre de la recevoir). Ici, c’était différent. Ils se regardèrent sans rien dire, l’un comme l’autre cherchant une confirmation dans ce regard qui ne le quittait plus. Les yeux de Dariel brillaient, savant mélange de joie, d’alcool et de fatigue, et une petite voix souffla à l’oreille de Frederick que ce qui se produisait sous couvert de la nuit ne survivait pas forcément à la lumière du jour, surtout lorsque les faux-semblant étaient de la partie.

L’agent immobilier fut le premier à échapper à l’enchantement, l’invitant à s’allonger à ses côtés en notant qu’ils pouvaient tout aussi bien regarder le film ainsi. Certes, il n’avait pas tort. Indy était un peu tourné à quatre-vingt-dix degrés sur la droite, sous cet angle, mais pourquoi pas. Pour le peu que Frederick s’intéressait à ce qui se passait à l’écran de toute façon, ça ne le dérangeait absolument pas. Il n’était même pas sûr d’entendre ce que les protagonistes disaient, même en se concentrant sur leur conversation plutôt que sur le bras passé autour de sa taille. Dariel soupira longuement, à mi-chemin entre la fatigue implacable et le contentement, et Frederick réprima un frisson lorsqu’il murmura une explication contre sa nuque.

Sombrant dans le sommeil, Dariel relâcha son étreinte, le laissant seul avec ses pensées qui se bousculaient un peu trop pour l’heure avancée qu’il était. Frederick souffla longuement, fatigué lui aussi, mais pour une toute autre raison. Ce type de questions demandait une concentration et une réflexion dont il ne disposait déjà pas en temps normal; autant dire qu’il n’allait pas aller bien loin ce soir. Ce qui ne l’empêchait évidemment pas de cogiter. S’il lui avait demandé de le suivre, aurait-il trouvé la proposition de l’agent immobilier étrange ? Sans doute. L’aurait-il accepté ? Certainement. C’était bien ça, le problème.

Oh, le problème n’était pas Dariel en lui-même. Loin de là. Frederick appréciait la beauté sous toutes ses formes et, à ce titre, il n’avait jamais discriminé qui que ce soit, quels que soient les attributs qui se trouvaient (ou non) dans leurs pantalons. Évidemment, la beauté était subjective, mais il aurait dû être aveugle et avoir sacrément mauvais goût pour ne pas remarquer le charme de l’agent immobilier. L’autre homme avait cet aura rassurante, si rare pour les citoyens de BlissTown, et ce regard incroyablement expressif qui contrastait avec l’air austère que pouvaient lui donner ses vêtements bien cintrés. Pour une personne aussi grande que lui, il lui arrivait facilement de se faire tout petit; moins imposant, plus abordable. Plus adorable, aussi. Alors, oui… Dariel n’était peut-être pas le parangon de la beauté fatale, mais le fait est qu’il n’avait pas besoin de l’être. De toute façon, Frederick était pâtissier. Son métier consistait à tendre vers le sublime, et s’il disait que Dariel était beau, sa parole faisait loi.

Simplement, et c’est justement là où ça se compliquait, Dariel ne se contentait pas juste d’être beau physiquement. Si ça avait été le cas, ça aurait été bien plus simple à gérer. Une banale histoire d’attirance physique comme on en faisait des tas. Comme Frederick en avait connu des tas, également. Il lui aurait suffit de s’armer de son plus beau sourire pour qu’il lui mange dans la main, et tout aurait été parfait, ou presque. Mais non; Dariel avait été élevé par Dhélia Vaughan, et à ce titre, il était le digne fils de sa mère. Intègre, un poil têtu sans être buté, et d’une générosité presque effrayante.

Le sang de Frederick se glaça quelque peu lorsqu’il pensa à la mère de Dariel, et il grimaça légèrement en imaginant ce qu’aurait été sa réaction, à l’époque, si elle avait appris que son fils prodige l’embrasserait un jour. Mieux valait ne pas y penser. Surtout qu’à bien y réfléchir… Dhélia ne semblait pas si opposée à l’idée que son cher enfant fréquente la graine de mauvais garçon qu’il avait été, tant d’années auparavant.

Et en voilà, un problème supplémentaire, pour le petit esprit brumeux de Frederick. Il y avait forcément un piège quelque part. Une chose qui faisait en sorte que tout ceci n’était qu’une vaste blague à son insue. Il n’avait juste pas encore pris connaissance de la chute. C’était l’explication logique, la seule qui soit. Avec les années, et surtout avec ce qu’il avait traversé, Frederick avait appris à se méfier des bonnes choses. Elles n’arrivaient jamais sans contrepartie, et elles se payaient toujours. Ne restait qu’à découvrir une chose ; quel était le prix de cette relation naissante ?

A l’écran le film touchait à sa fin. Un village tout entier fêtait le retour d’une bande d’enfants dont Frederick n’avait pas la moindre idée d’où ils avaient été pour mériter un tel accueil. Indy et sa compagne de périple se chamaillaient avec la même férocité de deux chiots, l’aventurier finissant par user de son fidèle lasso pour ramener à ses côtés la demoiselle passablement exaspérée mais terriblement charmée. Le couple échangea un baiser sous une ovation générale, et Frederick songea, un peu cynique, que les héros de films avaient quand même sacrément de la chance. Le baiser marquait la fin de l’aventure; leur amour une certitude aux yeux de tous. Si seulement c’était aussi simple que ça, dans la vraie vie.

Les mains du pâtissier trouvèrent celle que Dariel avait passé autour de sa taille, et elles se refermèrent sur elle, la serrant contre lui. Dariel marmonna quelque chose dans son sommeil et se repositionna légèrement, et Frederick soupira lorsqu’il fut évident qu’il ne se réveillerait pas pour si peu. Il avait eu l’air exténué en rentrant; il s’en serait voulu de le tirer de son sommeil à cause d’un stupide besoin de le sentir un peu plus proche de lui, alors qu’ils étaient déjà littéralement collés l’un à l’autre. Phoebe avait été bien claire : s’il blessait son frère, de quelque façon que ce soit, il le regretterait amèrement. Qu’elle se rassure; il était tout à fait au courant des conséquences. Et quelque chose lui disait qu’il n’aurait pas besoin de l’intervention de l’aînée des enfants Vaughan pour regretter ses choix.

Le premier sur la liste étant son incapacité à dévoiler, à deux reprises déjà, la nature de son altération à Dariel. Bien sûr, ce dernier lui avait dit qu’il n’attendait rien de lui, qu’il avait tout le temps de l’évoquer, un jour, quand il se sentirait prêt à le faire. Malheureusement, Frederick le savait, il n’existait aucun scénario où il décidait d’aborder le sujet par simple envie de partager son expérience sur la question du Bliss. Et Dariel avait le droit de savoir dans quoi il s’engageait, même à taton. De plus… Frederick préférait mille fois tomber le rideau tout de suite, plutôt que de poursuivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. S’il devait développer une véritable attache, tout ça pour la voir voler en éclat le jour où l’agent immobilier apprendra ce dont il était réellement capable– Il s’en remettrait, évidemment. Il s’en remettait toujours. Il préférerait juste ne pas avoir à le faire. Pas avec Dariel.

Cette fois, lorsque le sommeil le happa enfin, le passage du marchand de sable ressembla plus à celui de la grande faucheuse : éveillé et ruminant sur la marche à suivre pour aborder le sujet avec Dariel un instant, transporté au pays des songes l’instant d’après. Il ne rêva pas, cette nuit-là (et s’il le fit, il n’en garda pas un seul souvenir au réveil).

    “Mrr !”

Groggy, Frederick extrait sa main de sous sa couverture (qu’il ne se rappelait pas être aussi lourde) pour chercher à taton son téléphone et tapoter l’écran jusqu’à faire taire son réveil qu’il n’avait plus entendu sonner depuis longtemps. Il trouva l’origine du bruit qui se stoppa momentanément pour se transformer en une sorte de grésillement proche de ceux d’un moteur – Avait-il tapé trop fort ? Pourtant, il était persuadé d’avoir fait attention –, avant de reprendre de plus belle. Frederick tapota à nouveau l’objet démoniaque qui s’était extrait de sous ses doigts, récoltant un petit “Mrrp !” exaspéré qui lui fit ouvrir les yeux lorsqu’il réalisa que les réveils n’avaient pas tendance à bouger, et qu’ils n’étaient pas couverts de poils.

Charlotte le regardait de ses grands yeux verts et Frederick referma les yeux en grommelant. Il se recroquevilla un peu sur la banquette, un réflexe protecteur visant à chasser l’idée même de se lever, malgré l’heure qui était plus que grave : Charlotte manquait de croquettes bien fraîches (celles qui n’avaient pas été terminées hier et que Frederick avait pu voir trainer au fond du bol dans un coin du séjour hier soir, n’étant à priori plus comestibles). Mais quelle idée d’avoir fait des  chats des créatures si ponctuelles. Est-ce que Dariel se faisait réveiller tous les matins comme ça ?

Se rappelant enfin de où il se trouvait, et en quelle compagnie, Frederick ouvrit les yeux en grand. Son regard passa de la banquette, au plaid, au dossier de ladite banquette, un peu trop confortable et un peu trop ergonomique pour n’être qu’un simple dossier, avant de retomber sur la main qu’il tenait fermement dans la sienne et qui n’était définitivement pas la sienne. Il semblerait que dans sa protestation du réveil, il avait récupéré la main de Dariel pour la ramener contre sa poitrine en maugréant. Oups.

    “Miu.”

Ah, oui. Charlotte. Avec un peu de chance, Dariel ne l’avait pas vu tapoter lamentablement la tête de sa petite princesse pour la mettre sur silencieux, en vain. Que voulez-vous. Frederick n’était pas du matin.
Dariel Vaughan
Townie
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 M7z2
Messages :
41
Âge :
33 ans
Origine :
Blisstown
Métier :
Agent immobilier
Surnom :
Dany
Citation :
Je vous fait visiter ?
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
L'humain est le fils du milieu, il possède une grande soeur et une petite soeur mais jusqu'ici je n'ai rencontré que lui en tant que représentant mâle de sa famille.
Une sombre histoire de prénom est au coeur des affaires familiales. Je ne comprends pas pourquoi. Dariel c'est joli pour un humain.

Je le tolère dans ma superbe demeure avec vue. C'est un bon colocataire, gentil et généreux. Il ne tolère aucune visite, aussi mon auguste personne n'est-elle jamais dérangée.

- pensées de Charlotte

L'humain part souvent pour son travail. Il vend des arbres à chat et des caisses à d'autres humains je crois. Avec bac à litière inclus !
- pensées de Charlotte

Notre vie est très tranquille. Il ne se passe jamais rien et ça me plaît ! Mais parfois, quand l'humain rentre, il ne se sent pas bien. Il est tout paniqué ou triste. Alors je le rassure par quelques ronrons. Et il m'aime encore plus.
- pensées de Charlotte



Dariel Vaughan
https://blisstown.forumactif.com/t157-les-visites-programmees-de-dariel
https://blisstown.forumactif.com
Quelque chose chatouillait. Non. Gratouillait. Non, c’était bien un chatouillement. Dariel fronça le nez, s’agita brièvement comme pour chasser cette sensation désagréable sans y parvenir. Puis quelque chose lui tapota le nez. Quelque chose de doux, de cotonneux. Et puis un coup contre sa joue le força à ouvrir les yeux. Charlotte ronronnait. Elle accueillit ce réveil tout en douceur d’un petit miaulement presque silencieux. Puisque l’autre bipède avait décidé de lui tapoter la tête pour la faire taire, à n’en pas douter son humain se réveillerait immédiatement pour satisfaire ses désirs. Dariel sourit en la voyant. Machinalement il porta sa main entre ses deux oreilles. Le geste fut reçut d’un nouveau miaulement, un oeil fermé de contentement, et des ronrons à n’en plus finir.

“- Bonjour ma belle.”

Un autre miaulement et puis, parce que Charlotte était un chat, elle se tourna, offrant une vue imprenable sur son derrière, tout en pétrissant le plaid sur le ventre de son colocataire. Dariel pouffa de rire. Il la repoussa doucement d’un geste du bras. Charlotte grimpa sur le dossier de la banquette. Elle n’en démordrait pas ! Ses croquettes !
Dariel s’étira de tout son long, étouffant un bâillement, le corps encore engourdi par le sommeil, la tête toujours un peu dans le brouillard. Il mit un certain temps à replacer la pièce, sa position dans celle-ci, le jour de la semaine, et les évènements de la veille. Et une de ses mains qui ne lui répondait pas. Ca faisait beaucoup d’informations au réveil. Il leva les yeux vers son compagnon de nuit, au moins aussi embrumé que lui. Peut-être plus. Dariel récupéra sa main, la passa sur son visage et constata avec désagrément qu’il fallait qu’il se rase. Tout à l’heure.

“- Bonjour. Bien dormi ?”

Question posée par pure politesse, la réponse se lisait sur son visage. Le pâtissier semblait encore fatigué. Et peut-être encore plus hagard que la veille. Sa nuit n’avait peut-être pas été de tout repos. Dariel repensa à hier, à ce moment avant que le sommeil ne l’emporte, à ce qui s’était dit, à ce qui s’était fait. C’était ce moment où on revenait à la réalité et où on se posait avec soi-même pour mettre les choses au clair et corriger le tir. Mais là, en l’occurrence, il n’y avait rien à corriger. Est-ce que Dariel regrettait ? Pas le moins du monde. Est-ce qu’il appréhendait la suite ? Oui, beaucoup plus. Mais ça, ce serait une préoccupation pour le Dariel d’après le petit-déjeuner.

L’agent immobilier se redressa enfin, faisant tomber le plaid. Il avait chaud. La banquette, bien que confortable, laissait assez peu de liberté en matière de mouvement. Et il avait passé sa nuit collé à Frédérick, alors que lui-même était déjà une bouillotte en temps normal. Son t-shirt lui collait à la peau au niveau de la nuque, et il détestait cette impression d’être poisseux au réveil. Bon. Une douche s’imposait. Un coup d’oeil à la grande horloge murale de la cuisine lui indiqua qu’il était beaucoup trop tard par rapport à d’habitude. Mais il avait prévu le coup. Après tout, c’était l’anniversaire de son père hier. Aussi n’avait-il absolument pas programmé de rendez-vous le matin, et une après-midi consacrée à un travail plus calme, ne l’obligeant pas à socialiser. Savait-on jamais des fois qu’il ait une gueule de bois. Dariel ne tenait pas l’alcool, les deux verres de champagne auraient pu suffire à lui faire passer sa journée devant la télé. Heureusement ça allait. Ce qui l’inquiétait un peu plus en revanche était le mutisme prolongé de son invité. Jamais il n’avait vu Frédéric aussi perturbé. Et en même temps, ce n’était guère que le quatrième jour vraiment qu’il passait en sa compagnie, quand bien même ils se connaissaient depuis plus longtemps et échangeaient régulièrement par message. Si tant est que des envoies de photos de Charlotte, et des partages de recettes écœurantes puissent être considérées comme des échanges.  

“- Tu peux dormir encore un peu si tu veux. Je m’occupe du petit-déjeuner.”

Il quitta la chaleur du plaid et le confort de la banquette pour se lever, et s’étirer à nouveau. Charlotte bondit à sa suite dès qu’il fit mine d’avancer vers la cuisine. D’un autre bond gracieux elle grimpa sur le plan de travail et s’assit devant sa gamelle. L’agent immobilier la remplit, et après une caresse, entreprit de préparer la machine à grain. Il irait se débarbouiller le temps que le café coule.

Le miroir de la salle de bain lui renvoya l’image peu flatteuse d’un homme encore ensommeillé, avec des cheveux en bataille, le visage un peu pâle et la barbe indisciplinée. Bien. Commençons par ça. Et tout en travaillant activement à rendre à sa personne une allure plus présentable, Dariel ne pouvait empêcher son esprit de divaguer. Une question revenait sans cesse : et maintenant ? On fait quoi maintenant ?
Est-ce qu’il fallait faire comme si de rien n’était et prétendre que hier était juste un moment d’égarement ? Cette idée le fit grimacer. Alors non. Est-ce qu’il devait se coller une étiquette “en couple” sur le front ? Celle-ci le glaça et il frissonna. Non. Non, non, et non. Il n’était pas en couple. Déjà parce que non. Meilleur contre-argument de tous les temps. Et puis c’était trop fort, trop angoissant, trop de pression également. Alors quoi ? Dariel soupira, agacé contre lui-même. Et si on disait qu’ils n’étaient rien de particulier ? C’était possible de juste continuer à explorer ce qu’il y avait entre eux sans se mettre la moindre pression, non ? Si, ça se faisait. Hélas, il n’avait personne à qui demander conseil. Car cette vérité lui sauta à la figure et s’imposa avec une conviction inébranlable dans son esprit : il ne voulait partager ça avec personne d’autre que Frédérick. Personne ne devait savoir. Pas parce qu’il avait honte, non. Mais parce que ce qu’il avait là était précieux, fragile, et qu’il était absolument hors de question qu’une personne extérieure se risque à tout détruire à coup de conseils douteux lus sur un site tout aussi douteux. Dariel ferait à sa façon, et tant pis s’il se plantait. C’était d’autant plus déstabilisant que ça ne ressemblait pas aux autres fois.

D’ordinaire il connaissait la chanson. C’était toujours, à peu de choses près, la même partition : les échanges, les rires, les rencards, les nuits passionnées, les sorties, et puis arrivaient, insidieux, les projets et les demandes toujours plus pressantes. Et là, en général, il fuyait. Ou du moins son esprit fuyait, mais sa bouche suivait. Oui. Oui bien sûr qu’on peut emménager ensemble. Oui, bien sûr que tu peux me présenter tes parents. Oui, oui bien sûr qu’on … et ainsi de suite. La dernière fois, il était à deux doigts de dire oui pour se marier sans s’être réellement demandé s’il le voulait. Il l’aimait non ? Ils étaient ensemble depuis quatre ans, ça voulait forcément dire quelque chose. Et puis elle avait parlé d’enfant. Et là quelque chose s’était allumé dans son esprit, un voyant rouge. Est-ce qu’il voulait des enfants ? Non. Non il n’en voulait pas. En tous cas pas maintenant. Est-ce qu’il voulait de cette vie rangée, comme celle de ses parents ? Peut-être. Mais pas maintenant. Et finalement, est-ce qu’il vibrait ? Non. Il avait peur. Peur de s’engager. Peur que ça se passe mal. Peur d’avoir mal. Peur que tout s’effondre. Peur de trop perdre. Peur d’être nul. Peur de mal faire. Peur de tout. Alors tout s’était arrêté. Et il se souvenait avoir pleuré des jours durant. Il avait tout gâché. A avoir tant donné sans s’être demandé ce qu’il voulait vraiment. A s’être surpris de regretter le départ de cette femme qu’il avait au final plus aimé qu’il ne le pensait. A regretter de ne pas s’être donné une chance d'essayer. Mais ça faisait peur, tellement peur. On ne pouvait pas revenir en arrière sur ce genre d’engagement. Encore que, un mariage de nos jours se rompait facilement. Mais un enfant … Il s’agissait d’une vie, et pas la sienne. Mais ses choix à lui impacteraient le destin d’un être qui n’avait rien demandé. De prendre conscience de ça, il en avait eu le vertige, et il avait préféré fuir. Et il avait bouclé cet épisode de sa vie comme s’il n’avait jamais vraiment existé. Mais aujourd’hui, alors qu’il achevait de nettoyer son visage après avoir ramené cette barbe à un état décent, ça lui revenait. Ca faisait combien de temps depuis Tamara et cet ultime échec ? Quatre ans, à peu de choses près. Ou cinq. Il avait arrêté de compter. Depuis Dariel enchaînait les histoires sans lendemain lorsqu’il en avait envie, souvent parce que le sort plaçait sur sa route une compagnie agréable avec laquelle il désirait plus.

Cette fois en revanche, il ne connaissait pas la chanson. Et ça l’effrayait. C’était arrivé vite, très vite. Trop vite. Et c’était fort. Trop intense. Et trop irrationnel. Trop romantique. Trop stupide. Trop … Trop tout ! Dariel secoua la tête. Allez. Un peu de nerf ! Il n’allait pas se marier non plus.
L’agent immobilier quitta la salle de bain, encore plus tourmenté que lorsqu'il y était entré, et les interrogations toujours plus nombreuses. Il fit un crochet par son dressing à la recherche d’une chemise qu’il passa, et tout en la boutonnant à la va vite, il rejoignit son invité dans la cuisine.

“- La salle de bain est à toi si tu veux.”

Le café avait terminé de couler, embaumait l’air de son parfum. Comme la dernière fois, Dariel sortit de quoi préparer le petit-déjeuner. De s’occuper les mains lui évitait de trop réfléchir. Ou du moins de trop se disperser. Il jeta un coup d’oeil à la baie vitrée. Le temps couvert dehors n’incitait pas vraiment à boire le café en terrasse. Néanmoins il sortit tout de même, pour profiter de l’air frais et aérer son appartement. Le ciel lourd de nuages laissait présager de la pluie. Encore une fois, Dariel se félicita de ne pas avoir à sortir aujourd’hui.
Revigoré par la fraîcheur de cette matinée bien entamée, l’agent immobilier retourna à ses tartines, non sans laisser la fenêtre ouverte. Et puisqu’on ne pouvait pas faire sans ses petites habitudes, il alluma la barre de son. Entraîné par la musique, il se laissait aller, bercé par les accords de guitare, occupé à ranger et nettoyer plaid et oreillers. Bien vite il n’y eut plus de trace de leur nuit passée sur la banquette.

Au retour de Frédérick, Dariel lui sourit. Ca lui avait fait du bien de s’occuper. Ca avait fait du tri dans toutes ses pensées. Peu importait ce qu’était, ou n’était pas ce qu’il se passait entre eux. Dans le fond ça n’avait pas la moindre importance. La seule chose vraiment importante était que Dariel appréciait la compagnie de cet homme. Et qu’à l’évidence, le sentiment semblait partagé. L’était-il encore ce matin ? Parce qu’il était étrangement calme et muet le pâtissier. Étrangement sérieux aussi. Dariel fit glisser la tasse de café dans sa direction. Il réprima son envie d’aller le serrer dans ses bras, et à la place se força à rester sagement accoudé au plan de travail. Manger debout ne le dérangeait pas, il avait l’habitude, même si des tabourets n’attendaient que d’être utilisés. Soucieux, il baissa les yeux sur son café, cherchant des réponses à ses questions muettes dans la boisson noire. Évidemment il n’en trouva aucune. A un moment, il fallait bien la poser, cette foutue question.

“- Est-ce que ça va ?”

Quelques mots pouvant tout et rien dire à la fois. Dariel avala difficilement une gorgée de jus de fruits, plus pour faire quelque chose et ne pas se faire ronger par l’angoisse. Est-ce qu’il avait abusé ? Finalement, il aurait mieux fait de se taire. Et parce que son ventre se tordait d’appréhension, il avala un morceau de chocolat, une boîte offerte par un client. Dariel grimaça, retint son envie de tout recracher, se mit à tousser, et vida son verre de jus de fruit d’une traite. De l’alcool ! Bon sang mais pourquoi ? Cette journée ne lui plaisait pas. Rageur, il fouilla un tiroir, sortit une tablette de chocolat noir et mordit dedans sans la moindre élégance. Tant pis. Tout pourvu que ce goût désagréable quitte sa bouche.

Frederick Byracka
Exilé(e)
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 Bb4z
Messages :
92
Âge :
30 ans
Origine :
Starcadia
Métier :
Chef pâtissier
Citation :

La vie est moins amère avec un petit morceau de sucre.
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
Ancien patron des "Délices du Bliss", connu pour ses pâtisseries aussi divines qu'onéreuses, Frederick avait pour habitude de vivre dans l'opulence. Se considérant comme génie culinaire et visionnaire dans son domaine, il vivait pour son Art.

Depuis la découverte de son Altération, il a choisi l'exile pour continuer à exercer sa passion sans vivre dans la peur constante d'empoisonner quelqu'un.

Le problème, c'est qu'il lui est bien difficile de trouver des ingrédients de qualités là où il se trouve à présent... Et il faut avouer qu'il peine un peu à se mélanger aux reclus de la société qui ont fait de Stone Belt leur terrain de chasse.
Frederick Byracka
https://blisstown.forumactif.com/t125-recettes-de-famille#231
https://blisstown.forumactif.com/t126-delices_du_bliss#235
Objectivement, Frederick avait bien dormi. Il avait même mieux dormi qu’à l’accoutumé, le confort de la banquette à des kilomètres de celui de la couchette peu douillette dont il avait fini par prendre l’habitude – et puis, c’était toujours plus agréable de dormir avec quelqu’un, surtout quand votre camarade de chambré était d’aussi bonne compagnie que l’agent immobilier –. Ce qui ne l’empêcha pas de maugréer aux salutations de Dariel : pas nécessairement de mauvais poil, juste fatigué. Oui, il avait bien dormi. Mais de loin pas assez, et ce n’était pas comme s’il pouvait faire honneur à la proposition de Dariel de poursuivre sa nuit. Pas maintenant que le sommeil l’avait abandonné, courtoisie de Charlotte, et que ses pensées de la veille l'assaillaient de plus belle. Il passa une main sur son visage et soupira : il était à peine réveillé, qu’il avait déjà envie de retourner se coucher.

Cet état, à mi-chemin entre l’apathie et la détresse, il n’arriva pas à s’en défaire comme il l’aurait souhaité. Au contraire, il semblait même que plus le temps passait, plus il s'enlisait dans cette sensation de catastrophe imminente, loupant plusieurs fois le coche en manquant de donner la réplique à Dariel là où il l’aurait attendu. Il savait parfaitement que son comportement allait finir par inquiéter l’autre homme, mais autant il avait une idée bien précise de ce qu’il devait faire au plus vite, autant il n’avait pas la moindre piste sur la manière dont il allait pouvoir engager la conversation... Et quelle conversation ça allait être. Il s’en réjouissait d’avance.

Son passage à la salle de bain n’arrangea rien à ses tourmentes, mais il lui permit au moins de se débarrasser de la fatigue qui voilait ses yeux. Ce n’était peut-être pas grand-chose, et ça ne changeait rien à son humeur taciturne, mais au moins il n’aurait pas à aborder le sujet qui lui brûlait les lèvres en portant son pyjama dépareillé. C’était toujours ça de pris.

Une mélodie doucement entrainante l'accueillit à sa sortie de la salle de bain, et son visage s’éclaira un peu, un bref instant. La musique avait l’air de faire partie intégrante de la routine matinale de Dariel. C’était une information absolument insignifiante, mais elle réussit à le faire sourire par sa banalité. Il n’était pas obligé de traiter cette matinée différemment des autres : peu importe ce qu’il prévoyait, il pouvait au moins essayer de se comporter un peu plus comme à son habitude. Rien n’était obligé de changer; il était le même, avec ou sans secret.

Dariel lui sourit à son retour, l’invitant à prendre place autour d’un café fraîchement moulu. Frederick s’installa et accepta la tasse avec gratitude, esquissant un sourire avant de plonger son regard dans sa boisson plutôt que dans les yeux de l’agent immobilier. Ce n’était pas évident de réfléchir à des questions qui ne venaient que rarement (voire jamais) à l’esprit, et c’était d’autant plus troublant de se prêter à l’exercice lorsque le sujet de toutes vos interrogations se trouvait à portée de main. Il s’en posait beaucoup, des questions, depuis qu’il connaissait Dariel. C’était troublant.

La question qu’il lui posa, le ton doux mais gardé, aurait bien pu être remplacée par une interrogation existentielle de la trempe de : “Existe-t-il une vie après la mort ?”, tant il était dans l’incapacité d’y répondre. Est-ce qu’il allait bien, lui ? Sans doute. Ça n’était pas très important, mais sans doute. Est-ce qu’ils allaient bien, eux ? Frederick le souhaitait. Il l’espérait réellement : ça faisait bien longtemps qu’il n’avait pas ressenti ce genre de connexion avec quelqu’un, et il ne savait pas trop quoi faire de tout ça. Tout ce qu’il savait, c’était que Dariel méritait qu’il fasse l’effort de se confier comme l’agent immobilier l’avait fait.

La question allait au-delà d’un besoin d’équilibrer les points des deux côtés. Ce n’est pas parce que Dariel lui avait fait une confession qu’il espérait réellement ne pas être sous couvert de l’alcool, qu’il lui devait une confession en retour. Ça ne marchait pas comme ça. En revanche, c’était la nature même des aveux de l’agent immobilier qui le poussait à avoir envie de le mettre dans la confidence. Frederick n’avait pas envie de risquer de blesser cet homme qui lui avait offert sa confiance bien trop vite, en continuant de lui offrir des demies-vérités. Il ne lui avait jamais menti, mais il ne pouvait pas non plus dire qu’il avait été honnête jusqu’à présent. Pas comme Dariel savait l’être, à tort peut-être. Et c’était bien là que le bât blesse.

Frederick referma ses mains autour de son café, se concentrant sur la chaleur de la tasse qui aurait pu brûler les doigts de quelqu’un d’un peu plus sensible que lui. Il passait la moitié de son temps à ses fourneaux et, avec le temps, il avait développé une insensibilité à la chaleur qui était presque enviable. La faute à ces centaines de viennoiseries qu’il devait produire et sortir du four avec une régularité mécanique, et à sa tête de linotte qui trouvait le moyen d’égarer ses maniques un peu trop souvent. Que devait-il répondre ? Une banalité serait la bienvenue. On n’avait pas de conversations sérieuses au moment du petit-déjeuner; ça ne se faisait pas. Comme s’attacher à quelqu’un que l’on connaissait à peine… Et pourtant, ils en étaient là.

Si on lui avait dit, un jour, qu’il rencontrerait une personne capable de le fasciner aussi facilement que Donna l’avait fait, il ne l’aurait pas cru. N’aurait pas voulu le croire, et aurait sans doute refusé de le faire. Car Donne était Donna, et rien ni personne ne lui arrivait à la cheville, mise à part peut-être sa fille. Dariel et elle ne se ressemblaient qu’en peu de points, et c’était certainement ce qui empêchait Frederick d’être totalement mortifié à l’idée de poursuivre quoi que ce soit avec l’agent immobilier. Dariel n’était pas Donna, il ne le serait jamais, et ce n’était pas ce qu’il recherchait. D’ailleurs, ce n’était pas comme s’il avait cherché quoi que ce soit en se rapprochant de Dariel. Il se laissait juste porter par ce qui se passait, pas vrai ? Advienne que pourra, cela n’avait pas d’importance. Et malgré cette certitude – ce mensonge; il était doué pour se mentir à lui-même quand ça comptait –, il sentait son cœur se serrer à l’idée de perdre Dariel. C’était idiot. On ne pouvait pas être triste à l’idée de perdre une personne qu’on connaissait à peine.

Comme pour s’occuper le temps que Frederick se décide enfin à répondre, Dariel avait plongé la main dans un ballotin de chocolats et s’était empressé de croquer dans l’un des petits lingots avant de se mettre à tousser. Le pâtissier, qui avait jusqu’à lors été occupé à contempler l’image de la lumière du plafond qui se reflétait sur la surface de sa tasse, leva les yeux en l’entendant s’étouffer. Heureusement, rien de bien méchant; Dariel était juste tombé sur un chocolat qui ne devait pas être à son goût, et fusillait du regard le pauvre ballotin innocent tout en croquant un carreau de chocolat noir.

L’air hostile ne lui allait pas du tout, et Frederick rit légèrement, incapable de rester impassible devant la trahison qu’il pouvait lire dans les yeux de l’agent immobilier. Dariel était incroyablement expressif. S’en rendait-il au moins compte ? C’était… charmant. Comme beaucoup de choses chez lui.

-    Mauvaise pioche ? demanda Frederick avec un sourire en coin qu’il cacha tant bien que mal en prenant une gorgée de café, sortant enfin de sa torpeur.

Le ballotin contenait une jolie sélection de douceurs, clairement en provenance d’un chocolatier artisanal. Il contenait également pas mal de chocolats fourrés à la liqueur, reconnaissables par leur forme qui n’était autre que celle des fruits qui composaient la liqueur qu’ils contenaient. Un simulacre de cerise pour un chocolat fourré au kirsch, ou une prune discrète qui renfermait une pointe d’umeshu. Frederick se demandait sur quel fruit Dariel avait bien pu être tombé.

Déposant sa tasse devant lui, il croisa les bras sur le plan de travail. Ses deux pieds étaient perchés sur la barre qui faisait office de repose-pied au taboret dont l’assise était un poil trop haute, et sur lequel il avait pratiquement dû sauter un peu plus tôt. C’est fou la différence qu’une dizaine de centimètres (bon, d’accord, une quinzaine) pouvait faire. Frederick n’avait pas envie de lancer le sujet, mais il ne pouvait pas l’éviter indéfiniment. Dariel était loin d’être bête, il voyait très bien que quelque chose clochait. Et, à ce rythme, il allait finir par tirer les mauvaises conclusions, ce que Frederick voulait éviter plus que tout autre chose.

-    Il faut que je te dise quelque chose.

La phrase n’eut pas tout à fait quitté sa bouche qu’il grimaçait déjà; personne ne voulait entendre ça. Il avait intérêt à réessayer. En mieux, cette fois.

-    Tu m’as dit hier que je pouvais prendre le temps que je voulais avant de te parler de mon altération, mais j’ai peur que… Si on continue comme ça, je pense que je n’ai pas vraiment le choix, Il secoua la tête, anticipant les protestations de Dariel, Je sais. Je sais que tu n'attends pas que je le fasse, vraiment, je sais. C’est juste que– Je t’aime bien.

Tu me plais, mais je t’aime bien. Toutes les deux des convictions profondes, l’une d’elle accompagnée d’une petite précision salvatrice. Parce qu’on n’aimait pas quelqu’un, comme ça, de but en blanc. Parce que ce n’était pas possible.

-    Je t’aime bien, et j’ai pas envie que tu penses que je t’ai menti, ou–, Il baissa les yeux pour fixer ses mains qui serraient fermement ses bras toujours croisés et crispés, Ta sœur, Phoebe. Elle a raison.

Foutu pour foutu, autant se jeter directement à l’eau. Ça ne lui serait d’aucune utilité de prendre des pincettes si le résultat était le même au final. Il préférait y aller franchement et enlever le pansement d’un coup sec, quitte à faire un peu resaigner la plaie qu’il couvrait tant bien que mal. Se penchant en avant, il attrapa au hasard un chocolat dans la petite boîte posée au bout du plan de travail. Sa forme était ronde, parfaitement lisse. Impossible de savoir si lui aussi contenait de la liqueur. S’en servant comme point d’ancrage, il l’observa obstinément, tout en se forçant à parler.

-    En Mai dernier, on m’a proposé de m’occuper du buffet de desserts pour le gala de charité organisé tous les ans par Minerva. J’étais… J’étais fier qu’on reconnaisse réellement mon talent, alors j’ai accepté. C’était un peu une manière de prouver à tout le monde ce dont j’étais capable, Il secoua la tête, Et pour leur prouver, je l’ai fait. Les invités qui ont goûté ce que j’avais préparé ont tous fini aux urgences. Je ne voulais pas– C’était pas volontaire, d’accord ? Je–

Elle était importante, cette précision. C’était d’autant plus essentiel que Dariel le crois sur ce point.

-    Je n’ai pas compris ce qui s’était passé. D’abord, j’ai cru à une intoxication alimentaire. Peut-être qu’on m’avait livré de la marchandise contaminée et que je ne m’en étais pas rendu compte ? Ou alors quelqu’un cherchait à me nuire ? Je ne savais pas quoi faire– Le bilan des examens clinique parlait d’une réaction allergique qui aurait provoqué un œdème de Quincke. On n’a pas su dire quel ingrédient était responsable, parce que d’après les résultats des prises de sang, c’était un crustacé à l’origine de la réaction. Inutile de préciser que je ne mets pas de crabe dans mes choux pâtissiers.

Il rit, sec et dépréciatif. Se livrer, être vulnérable, et surtout mettre entre les mains d’autrui des informations qu’il avait pris l’habitude de refouler au plus profond de son être... Il détestait faire ça.

-    J’ai très vite compris ce qui s’était passé. Il m’a suffit de me préparer un truc à manger le lendemain pour être malade. Depuis, je ne peux plus voir les omelettes, ajouta-t-il distraitement, un frison de dégoût lui parcourant l’échine, J’avais beau faire ce que je voulais, je– A chaque fois, je finissais malade. J’aurais pu me tuer, en m’entêtant comme un imbécile. Je ne m’en rendais pas compte à l’époque.

Et il y avait une histoire plus sombre à décortiquer sous ces quelques mots. Mais pas tout de suite.

-    C’est pour ça que j’ai été obligé de… Enfin, c’est pour ça que je suis parti. Et je, je veux que tu le saches. Parce que je ne pourrais rien y changer et que… Que tu ne veux peut-être pas t'embarrasser de… tout ça, dit-il en gesticulant vaguement dans sa direction, Juste pour t’amuser un peu.

Et ça faisait mal de présenter de cette manière ce qu’il construisait aussi précautionneusement qu’ils le faisaient. Juste un peu. Ça sonnait faux, aussi. Beaucoup plus. Mais c’était l’opportunité parfaite pour que Dariel puisse le pousser – vers la porte, loin de lui et de sa vie – s’il le voulait. Le chocolat qu’il avait attrapé mais toujours pas consommé commençait à fondre entre ses doigts, image miroir de son audace. Il aurait mieux fait de se taire. D’avaler ce foutu chocolat et de la fermer.
Dariel Vaughan
Townie
Icon :
L’art et la manière de traîner une casserole - Page 2 M7z2
Messages :
41
Âge :
33 ans
Origine :
Blisstown
Métier :
Agent immobilier
Surnom :
Dany
Citation :
Je vous fait visiter ?
Disponibilité :
Disponible
Biographie :
L'humain est le fils du milieu, il possède une grande soeur et une petite soeur mais jusqu'ici je n'ai rencontré que lui en tant que représentant mâle de sa famille.
Une sombre histoire de prénom est au coeur des affaires familiales. Je ne comprends pas pourquoi. Dariel c'est joli pour un humain.

Je le tolère dans ma superbe demeure avec vue. C'est un bon colocataire, gentil et généreux. Il ne tolère aucune visite, aussi mon auguste personne n'est-elle jamais dérangée.

- pensées de Charlotte

L'humain part souvent pour son travail. Il vend des arbres à chat et des caisses à d'autres humains je crois. Avec bac à litière inclus !
- pensées de Charlotte

Notre vie est très tranquille. Il ne se passe jamais rien et ça me plaît ! Mais parfois, quand l'humain rentre, il ne se sent pas bien. Il est tout paniqué ou triste. Alors je le rassure par quelques ronrons. Et il m'aime encore plus.
- pensées de Charlotte



Dariel Vaughan
https://blisstown.forumactif.com/t157-les-visites-programmees-de-dariel
https://blisstown.forumactif.com
Rien ne pouvait être pire que ces affreux chocolats fourrés de liqueur. Qui avait inventé ça ? Qui s’était levé un matin avec l’idée diabolique de combiner chocolat et alcool ? Pire encore, qui avait eu l’idée de décliner les parfums à l’infini, avec des produits plus ou moins bon marché ? Dariel repoussa la boîte du bout des doigts, comme si de la toucher le dégoûtait plus que toute autre chose au monde. A peu de chose près, c’était vrai. Il la donnerait à quelqu’un. Et peut-être qu’il devrait songer à faire circuler le mot à son sujet : qu’on cesse de lui offrir des chocolats. Mais à quoi aurait-il droit ensuite ? Des bouteilles d’alcool ? La bonne blague, lui qui n’en buvait pas. Pourtant il en avait, des bouteilles, rangées dans un meuble, jamais ouvertes. Des bouteilles souvent chères, remerciements de clients fortunés pour qui ce genre de cadeau ne valait rien. Dariel les gardait pour … Pour si un jour peut-être ça servait. Savait-on jamais, des fois qu’il lui faille les éclater sur la tête de quelqu’un.

“- Je déteste les chocolats à la liqueur”, maugréa l’agent immobilier tout en mordant à nouveau dans un carré noir.

Le goût disparaissait peu à peu de sa bouche, remplacé par celui, plus intense et doux en même temps, du chocolat noir. De la bonne marque, achetée chez un artisan. Il préférait largement ça à ces horreurs. Dariel aurait pu fomenter mille plans pour faire disparaître à jamais l’industrie du chocolat alcoolisé, toutefois, au lieu de se perdre dans ces pensées irrationnelles, il leva les yeux vers Frédérick. A son tour il croisa les bras sur le plan de travail et écouta, attentif.

Des mots difficiles, des idées compliquées à formuler à en juger par les grimaces et le ton hésitant de son interlocuteur, son regard fuyant également. On y venait. Ce serait mentir que d’affirmer que Dariel n’était pas curieux. Mais en même temps il ressentait une forme de, d’appréhension. Son coeur s’était mis à battre plus vite et plus fort, presque trop, et il menaçait de couvrir la voix de Frédérick. Il s’était attendu à l’explication directement, pas à un aveu que ce qui s’était dit hier valait encore ce matin. Frédérick l’aimait bien. Pourquoi, de juste entendre cette toute petite affirmation le fit sourire ? Mieux que ça, il lui plaisait toujours. Un poids quittait sa poitrine, opprimée depuis son réveil sans qu’il ne s’en soit rendu compte jusqu’à maintenant.

Dariel écouta. Sérieux. Hochant à peine la tête de temps en temps pour dire qu’il suivait toujours et comprenait. A mesure que le pâtissier expliquait ce qui s’était passé, les dernières pièces du puzzle s’imbriquaient entre elles pour donner à l’ensemble un tout cohérent. Ça collait avec ce qu’on lui avait rapporté. Et surtout, ça expliquait ce qu’il avait perçu dans la caravane. Un homme de talent, frappé du jour au lendemain par le Bliss. Un cuisinier incapable de cuisiner. Un empoisonneur involontaire. Qui ne pouvait plus rien préparer, pas même une infusion par crainte de ce qu'il adviendrait s’il avait le malheur de mélanger un peu d’herbes séchées et de l’eau chaude. Un don qui s'apparentait bien plus à une malédiction qu’autre chose. Dire que certains voyaient dans le Bliss une oeuvre divine et louaient leurs altérations. Les abrutis. Il n’y avait rien de beau, rien de juste, rien de bien avec cette chose. Quoi qu’elle soit. Et Dariel songea, non sans une pointe d’ironie, qu’il y avait finalement bien un parallèle à tracer entre Bliss et Dieu. L’un comme l’autre étaient égoïstes, injustes, et se délectaient de voir les pauvres petites créatures humaines n’être que des jouets entre leurs mains. Mais Dieu n’existait pas. Et Dariel doutait que le Bliss soit une chose consciente, plus un phénomène provoqué par il ne savait quoi. Du moins pour le peu qu’il s’était penché sur la question, au début, lorsque sa propre altération s’était manifestée.

Il ne pouvait que comprendre ce qui avait poussé Frédérick à fuir. Et pour ça il l’admirait plus encore. Tout comme il parvenait à mieux saisir les subtilités des émotions qui l’avaient frappé chez le pâtissier. La colère, évidemment, la plus forte de toute et la première à se manifester. Mais teintée de regret, de peur, de tristesse et d’amertume. Le tout formait un cocktail explosif auquel il était très difficile de résister. Dariel frissonna. Il repensa à sa soeur et à ce qu’elle lui avait dit dans la cuisine avant que leur dispute n’éclate. “Ce type est un meurtrier Dany ! Il a empoisonné des tas de gens ! Il te fera du mal, il va se foutre de toi.” Et il avait vu rouge. Ce souvenir le crispa, et il serra les doigts sur son bras, le regard rivé sur son portable avec une colère qu’il finit par réussir à chasser. Ce n’était pas le moment de penser à ça. Et il s’en voulut, énormément, d’avoir, l’espace d'une seconde, été tenté d’appeler ses parents pour s’assurer qu’ils allaient bien. Abruti ! Il avait aussi mangé du gâteau hier et il était encore là. Il avait mangé plusieurs des préparations de Frédérick sans jamais être malade. Parce qu’il exerçait son art dans la Stone Belt, là où le Bliss n’avait aucune prise sur lui. A nouveau Dariel secoua la tête. Non. Il n’avait définitivement rien à craindre de cet homme.

Il leva enfin les yeux sur lui, peiné de l’entendre se considérer comme une simple distraction. Et s’il considéra la chose un instant, Dariel balaya cette hypothèse de son esprit. Il ne savait pas ce qu’ils étaient, mais certainement pas une pause amusante dans sa vie avant de la laisser reprendre son cours. Ca l’énervait que Frédérick pense ça. Ca l’énervait que sa soeur l’ait insulté. Ca l’énervait que son propre associé se soit permis de se mêler de qui il fréquentait, et d’accorder du crédit aux ragots. En fait, ça l’énervait tout simplement qu’on dise du mal de cet homme. Et ça l’énervait plus encore que Frédérick accorde de l’importance à ces gens. Dariel souffla. Il fit l’effort de décrisper ses doigts. Il devait se reprendre, que l’autre homme ne s’imagine pas que sa colère se tournait contre lui. Non. Dariel n’éprouvait aucune colère à son égard. De la compassion, oui. De la tristesse, un peu. Et surtout, quelque chose de plus fort qu’il ne pouvait pas -ou ne voulait pas- identifier. L’agent immobilier recula, s’éloignant du plan de travail qu’il contourna pour venir rejoindre Frédérick d’un pas tranquille.

“- Ma soeur n’a jamais raison.”

C’était une vérité universelle. Aussi sûre que sa mère, en revanche, avait toujours raison. Mais Phoebe, non, jamais. Dariel s’arrêta à mi-chemin. Il laissait ses doigts glisser sur le plan de travail impeccable et suivait leur course désordonnée d’un regard vague.

“- Pour être tout à fait honnête avec toi, on m’a parlé du gala. Phoebe, évidemment. Et Oliver. Et j’avais entendu des rumeurs avant de te connaître. Mais je ne lis pas la presse à scandale alors je n’avais pas les détails. Et puis, tu sais, ces torchons ont toujours tendance à exagérer les choses. Alors je n’y ai pas prêté attention.”

Et puis dans le fond il s'en fichait à l’époque, il ne cherchait qu’à récupérer un local. Aujourd’hui, il s’en fichait encore plus. Mais ce n’était plus le local qui l’intéressait, et cette pensée le fit sourire. C’était si léger une fois qu’on acceptait cette vérité.

“- Ca ne change rien.”

Il l’avait énoncé avec plus de conviction dans la voix qu’il ne l’aurait cru.

“- Même si des gens étaient morts, ça ne changerait rien. Tu sais pourquoi ?”

Non il en doutait. Frédérick traînait une image de lui-même exécrable depuis tout ce temps. En plus d’être seul. Et malgré tout ça il gardait le sourire quand bien même il se parait de faux-semblants et que personne n’avait envie de faire l’effort de voir plus loin que ça.

“- Toi tu n’as jamais voulu faire de mal à personne. Ce n’est pas ta faute si tu as cette altération. Et ce n’est pas comme si tu avais pu sentir qu’elle était là.”

Lui-même n’avait jamais su quand c’était arrivé exactement. Un beau jour, elle était là. Et depuis elle refusait de partir.

“- Et même si ça ne te convaincs pas, tes actes parlent pour toi. Tu es parti. Et si Phoebe y voit une preuve de lâcheté, j’y vois plutôt une forme d’altruisme.” Ou de courage. Les deux peut-être. “D’autres seraient restés et auraient simplement abandonné leur rêve. Toi, tu as décidé de t’exiler pour ne pas faire de mal aux gens, et essayer de rebondir.”

Si on pouvait contrer en prétextant que c'était surtout pour ne pas se faire de mal à lui-même que Frédérick s’était enfui, Dariel secoua à nouveau la tête. Il rejoignit le pâtissier en quelques pas. C’était amusant de l’avoir presque à sa hauteur. Amusant, et plus simple pour le regarder.

“- Tu m’as aidé quand je suis venu chez toi alors que rien ne t’y obligeais, et je suis certain que je ne suis pas le seul à qui tu as tendu la main comme ça. Tu t’es plié en quatre pour réaliser le gâteau de mon père, sans rien me demander en échange. Même si tu vois ça comme des services, il y a dans tes actes une générosité qui dépasse le simple échange de bons procédés.”

Tout comme il savait que cette gentillesse ne se limitait pas qu’à lui. Frédérick était le genre à faire plaisir, quitte à se faire du mal. Dariel ne doutait pas un seul instant que tout le monde dans son village perdu en plein désert appréciait cet homme si avenant, si serviable. Et définitivement trop gentil pour son propre bien.  

“- Tu peux dire que c’est faux autant que tu veux, je te le redis encore une fois : tu es quelqu’un de bien, Frédérick. Et je te le redirais, encore et encore, jusqu’à ce que ça se grave dans ta tête.”

Dariel lui offrit un sourire. Et ses doigts passèrent dans les cheveux du pâtissier dont il prit une mèche, avant de de venir poser sa tête sur son épaule. Sa main quitta le chevelure aussi disciplinée que la sienne -soit pas très bien domptée avec ses mèches folles- pour venir dans le dos de Frédérick. C’était bien trop agaçant d’avoir tout le temps envie de le prendre dans ses bras. Mais il en avait besoin. Cet homme ne recevait pas assez de câlins. Dariel soupira, apaisé, avec cette sensation d’être à sa juste place pendant quelques secondes.

“- Ca ne change vraiment rien. Mais, il y a quelque chose qui m’embête quand même.”

L’agent immobilier se redressa, quittant à contrecœur l’épaule sur laquelle il commençait à vraiment aimer s’appuyer. Sa main libre alla chercher celle toujours crispée sur le chocolat en train de fondre. Elle déroba la friandise, et Dariel l’avala. Pas d’alcool cette fois. Bon, c’était pas mauvais sans liqueur. Il attrapa ensuite le torchon et, consciencieux, entreprit de nettoyer les doigts tachés par le chocolat. D'avoir quelque chose à faire l’empêchait de réfléchir à ce qu’il disait, aux conséquences, à ce que ça sous-entendait. Ca l’empêchait de rougir aussi. Au moins un peu.

“- Je ne considère pas ce … Enfin, euh, nous … Le mot est un peu fort”, s'empressa-t-il de dire en souriant, crispé. “C’est le mot juste mais ça fait bizarre de dire nous.”

Et il perdait de sa superbe l’agent immobilier maintenant qu’il fallait parler de ce qu’il ressentait et de ses propres angoisses. Un “nous” impliquait trop de choses. Et c’était surtout trop soudain. Dariel masqua sa gêne autant que possible en continuant de nettoyer les doigts pourtant à présent propres du pâtissier.

“- Ce que je veux dire c’est que tu n’es pas une distraction pour moi. Enfin, on s’amuse bien quand on est ensemble mais ce n’est pas euh, ce n’est pas … T’es pas un plan cul d’accord ?”

Il rit, nerveux, et sous le coup de l’angoisse, comme d’habitude, sa langue allait plus vite que sa pensée.

“- Surtout que j’ai jamais couché avec un homme alors … Pou-pourquoi je disais ça déjà ?”

Dariel sentait ses doigts trembler légèrement. Il prit le torchon et le plia. En deux. En quatre. En autant de fois que possible, puis en lissa les plis. Tout pourvu qu’il puisse se concentrer sur quelque chose.

“- Je t’aime bien aussi. Alors, va pas croire que … Ce que j’ai dit hier, c’est vrai. Tu me plais.”

Et il l’aimait bien. Le “bien” avait toute son importance. On ne pouvait pas aimer quelqu’un aussi vite, pas vrai ? Le bout de tissu parfaitement plié et lissé, Dariel s’appuya sur le plan de travail. A nouveau il rit, un peu crispé, mais plus léger également de dire tout ça, d’avoir entendu l’histoire derrière l’altération de Frédérick. Il se sentait plus proche de lui d’avoir enfin tout compris. Ne restait qu’à lui dire, à son tour, la nature exacte de sa propre altération. Une autre fois. Ca faisait beaucoup en une seule matinée sans même avoir avalé de café. Dariel revint contre Frédérick, le poussa légèrement, juste pour avoir un contact, juste pour le sentir près de lui.

“- Et je veux que tu saches que j’ai confiance en toi.”

C’était une évidence. C’était limpide. Peu importait ce qu’on pouvait raconter sur lui. Aussi étrange que cela puisse paraître, et stupide aussi, d’accorder sa confiance à quelqu’un qu’on connaissait à peine. Il s’agissait là d’une certitude. Quoi qu’il se passe. Même si la confiance pouvait être un fardeau bien plus pesant à porter que l’amour.
Contenu sponsorisé
Pas d'outils
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum