Okay, si je suis bien certaine d’une chose après toutes ces explications, c’est que Ghostface est passionnée par tout ce qu’il se passe. Et à priori ses amis l’étaient aussi pour avoir créé ensembles tout ce système de marquage vraiment très organisé. Ah, explorer les mystères du Bliss…j’suis bien contente que mon métier m’y confronte de temps en temps, ma vie serait bien vide sans ça, mais j’peux pas non plus ignorer le nombre alarmants de fantômes apparus à cause de phénomènes inexpliqués. Surtout en ce moment.
Du coup si l’enthousiasme de l’exploratrice est partagé, ce n’est pas sans une pincée d’appréhension, mixée à la crainte naturelle des profondeurs.

“Dac’...mais faîtes gaffe quand même hein, j’voudrais pas vous revoir de l’autre côté du voile.”

Ni y finir.
Mais ça ne m’empêchera pas de la rejoindre et d’emprunter avec elle ce couloir où tout pourrait arriver.

…Et c’est qu’il est long, ce couloir. Même après une vingtaine de minutes à progresser en ligne droite , il semble ne jamais s’arrêter. J’suis pas cartographe, loin de là, mais c’est seulement possible d’avoir un chemin souterrain aussi long? Est-ce qu’on aurait pas déjà dû croiser un autre tunnel? Voire quitter la bordure de la ville?

“Dîtes, vous pensez que ça mène vraiment quelque part? C’vous l’experte après tout… mais j’ai quand même l’impression qu’un tunnel pareil devrait pas être aussi long. Y’a eu genre…aucune intersection depuis qu’on est entrées.”

Et à l’instant où je termine ma phrase, la lumière de notre lampe révèle alors enfin le bout de la ligne droite, qui se divise en deux chemins tout aussi peu éclairés que le précédent, comme si l’obscurité absorbait la lumière à quelques mètres devant nous. Et, à première vue, rien ne les distingue l’un de l’autre…pas une indication, pas une nuance pour les différencier.

“...Bon, bah j’ai rien dit.”

J’me tourne vers l’exploratrice, supposant qu’elle connaît le meilleur plan dans ce genre de situation : “Vous croyez qu’on devrait se séparer? Ou…’fin, j’sais pas si c’est très prudent mais au pire on peut toujours se retrouver ici et rebrousser chemin. S’pas comme si le couloir était à sens unique.”

Puis pour illustrer mes paroles, je me retourne vers le couloir dont on vient et-”...Euh?”

-constate qu’à la place du long corridor qu’on vient de se taper, il y a…un mur.

“Eh?!” Je le tâtonne pour vérifier que ce n’est pas une hallucination comme les lieux chargés en Bliss savent y faire, mais la paroi est aussi réelle que n’importe quelle autre paroi sillonnant ces profondeurs. Et elle est à la place de notre seule issue.

“Vous…avez déjà connu quelque chose comme ça?”

On sait jamais, des fois que l’exploratrice ait l’habitude de ce genre de farces?

J’reste stupéfaite devant le calme de Ghost face à notre problème. Déjà que les profondeurs ne sont pas un coin que j’affectionne, l’idée d’errer dans ses couloirs sans avoir où on va, encore moins s’il y a vraiment une sortie, n’est pas ce que j’appellerai une sortie plaisir.
Au moins, je suis accompagnée d’un fantôme bien vivant, c’est déjà ça?

“J’vous fais confiance si vous dîtes que c’est normal. Pour ma part j’ai jamais fait affaire à des manifestations aussi…directes. Et c’était en extérieur. Alors si vous pensez que y’a un message… j’suis partante.”
…Mais ce n’est pas comme si y’avait le choix.

C’est pas que le Bliss me fasse particulièrement peur. J’accepte le Bliss et toutes ses étrangetés, car sans lui la vie serait bien plus morne, bien plus…vide. Il paraît que ses effets ne dépassent pas la stone belt, que le reste du monde en est privé. Comment font-ils? Pour moi ce serait comme…vivre sans les couleurs : le monde continuerait d’exister mais il perd de sa magie.
Mais avec ou sans couleurs, l’idée de me retrouver enfermée sous-terre, perdue dans je-ne-sais quelle tunnel, ça m’enchante moyen.
En fait, peut-être que le risque de mourir piégée dans cet endroit, dans l’obscurité qui me terrifie, de rejoindre ces âmes torturées qui jalonnent les profondeurs… c’est ça qui me fait peur. Plus que l’inconnu en lui-même.

L’exploratrice, elle, ne semble pas connaître ces craintes ou alors elle s’en sort très bien pour les cacher. Du coup je la suis en silence, essayant de me gorger de son enthousiasme pour noyer mes inquiétudes… tout en fumant une cigarette au chanvre, car ça aussi ça aide à se détendre un peu.

“Euh?... Oui, attendez, j’reconnais cette odeur. Y’a un restau indien dans mon quartier, c’est tout à fait l’genre de choses qu’on sent…mais ça aurait rien à faire là, on est d’accord? ‘Fin, ce serait…le pire business plan de s’installer là.”

Dans le doute je m’avance de quelques mètres supplémentaires, où l’odeur ne fait que se renforcer jusqu’à ce que le couloir fasse un coude. Et de l’autre côté de l’intersection…

Spoiler:

“...Venez voir.”

Devant nous se trouve un véritable marché souterrain. Tout est allumé. Des étals disposés contre les parois entourent un large passage, des produits de tout type jonchent les stands de toutes les couleurs…et certains proposent même de la nourriture, bien en évidence sur les étalages, et ceux qui en proposent ont même des fours encore incandescents.

Mais un détail important a de qui faire tiquer : il n’y a aucune âme qui vive.
…Ni d’âme qui ne vive pas, par ailleurs. Il n’y a absolument personne, dans ce marché souterrain qui paraît pourtant parfaitement…vivant?


“...Ça arrive souvent, ce genre de message? Une invitation à manger?” dis-je en m’avançant vers un étal boulangerie/pâtisserie sur lequel sont mis en évidence d’appétissants donuts, encore chauds.
L’idée que ça puisse être dangereux disparaît de mon esprit aussi vite qu’elle est venue, pour l’instant j’ai juste…faim.

Dans n’importe quel autre contexte, personne ne serait assez fou pour s’attaquer à de la nourriture ainsi trouvée, sans prendre de sérieuses précautions quant à la provenance du soi-disant cadeau…Ou même, se poser de simples questions sur sa composition. Mais ici…bwarf? C’est comme si tout notre bon sens était resté à la surface.

“C’est quoi, alors? Une sorte de caverne aux trésors, mais en plus calorique? Pas que j’m’en plaigne, mais…” je réfléchis à haute voix, sans attendre de réponse particulière, avant de croquer dans ce donut gentillement offert. Pour avoir eu l’occasion de goûter à ceux des fameuses boulangeries de Starcadia récemment, les victuailles d’ici n’ont rien à envier à celles d’en haut ! Le met est engloutit à la vitesse de l’éclair, puis je me presse de rejoindre Ghost qui est comme retombée en enfance.

“T’as l’air ravie d’être ici ! C’est les sucreries gratuites qui te font ça?” Puisque les formalités sont tombées autant rire un peu ! De toute façon cet endroit s’y prête, c’est juste…hors de tout. Comme si on avait laissé tous nos soucis à l’entrée du tunnel.

Et puisqu’il n’est pas question d’être en reste, je me met à courir pour dépasser l’exploratrice -j’ai pas trois kilos de bouffe à porter, moi !- et m’enfoncer par une porte entrouverte dans le bâtiment qui semble émettre cette odeur épicée; qui nous a attirées comme des mouches devant une flamme.
A premier lieu, on dirait bien une arrière-cuisine tout ce qu’il y a de plus classique, à la limite peut-être un peu ancienne. Les saveurs exotiques qui s’échappent des énormes fours encore en activité mettent tout autant l’eau à la bouche que les pâtisserie précédentes, si bien que je me penche devant l’un d’eux pour jeter un oeil à ce qui y est préparé.

Mais des petits bruits de pas qui se faufilent dans mon dos m'interrompent dans mon geste, car ils ne ressemblent aucunement à ceux de Ghost -que j’entend aussi, se rapprocher à toute vitesse-. Leur origine se révèle dès lors que je fais volte-face, sous la forme d’une adolescente a l’autre bout de la pièce qui a, elle aussi, les bras chargés de nourriture.

“...Hey, il y a quelqu’un ici !” Mon premier réflexe est de prévenir ma collègue, même si elle le verra bien d’ici quelques secondes.

Je fais ensuite quelques pas vers l’étrange inconnue qui me fixe en retour, tout en grignotant silencieusement un sandwich que je devine venir de ce restaurant.

“Bonjour ! Comment est-ce que tu es arrivée ici?”

Une autre entrée, peut-être? Eh bien je n’aurais pas la réponse, puisque l’adolescente se contente de me tendre une pomme qu’elle tient dans son autre main. Mes doigts s'approchent du fruit pour accepter son cadeau et…passent au travers.

“...Oh.”, le mot m’échappe dans un soupir, quasiment de déception, au moment où l’exploratrice passe la porte. “Non, en fait…pas vraiment.”

Le fantôme laisse ainsi tomber la pomme illusoire, et sa main pointe alors quelque chose derrière moi, au moment exact où une intriguante source de chaleur irradie mon dos. Mon regard suit donc l’indication, et…
“...Il était pas collé au mur ce four, y’a deux secondes?” j’affirme devant l’imposante fournaise qui est maintenant à moins d’un mètre de moi, et qui…se rapproche?!